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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/649

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TANNERY. — anaximène et l’unité de la substance

immanente, de l’esprit et de la matière, et si aucune formule n’a rallié l’assentiment général, chacun craindrait, en affirmant la vanité de pareilles recherches, de se rayer soi-même de la liste des philosophes.

Et cependant que faisait la science ? Remarquons d’abord que dans son état actuel, elle a comme point de départ la conception atomiste et que cette dernière est essentiellement pluraliste.

Je ne m’arrête pas à la distinction des atomes et de l’espace vide. Ce dernier non-être est à la vérité un scandale métaphysique ; mais on peut écarter assez facilement la difficulté, sinon la dissiper entièrement. J’insiste sur ce point que les atomes de Leucippe, de Démocrite et d’Épicure sont loin d’être tous identiques.

Certes ils ont des propriétés communes, mais l’unité, dans laquelle ils rentrent de la sorte, est purement factice, absolument relative aux conditions subjectives de notre intellect. Leurs différences les constituent en un nombre plus ou moins grand de matières complètement irréductibles entre elles, ou bien, pour donner la raison de ces différences, il faut oser rétablir les principes subjectifs d’Aristote, l’εἶδος et la στέρησις, après quoi on se trouvera tout juste aussi avancé qu’auparavant.

De même que les différentes sortes d’atomes, les divers corps simples auxquels la chimie moderne ramène les éléments de la composition des substances naturelles, sont irréductibles entre eux, et comme on le sait, leur nombre augmente tous les jours. Les faits de l’expérience à notre portée semblent donc démentir formellement l’unité présupposée.

Cependant le besoin de cette unité, aussi sensible pour le savant que pour le philosophe, a provoqué une vive réaction contre la croyance à la simplicité réelle des atomes chimiques. On s’est dit que l’impossibilité où nous nous trouvions de les décomposer ne suffisait nullement à établir cette simplicité ; plus les découvertes nouvelles les multipliaient, plus il était relativement facile, par la comparaison de leurs propriétés, de trouver de graves indices tendant à les faire considérer comme composés. Bref, c’est aujourd’hui l’opinion dominante que de regarder les atomes chimiques comme des systèmes constitués, à divers degrés de complexité, par des individus appartenant à un type unique et que d’identifier ce type avec celui des particules ultimes d’un fluide hypothétique, l’éther, au sein duquel on suppose plongés tous les corps de la nature.

Je n’ai nullement la prétention de combattre cette opinion : d’ailleurs, relativement, elle n’est pas très ancienne, et elle semble appelée au moins à parcourir une longue et brillante carrière, en condui-