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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/652

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nos laboratoires, a dû néanmoins apparaître à la surface de la terre, certains éléments se trouvant en présence, dans certaines conditions de température et de pression. C’est la thèse matérialiste proprement dite.

Cette thèse était très simple, sans graves objections possibles au point de vue scientifique et ne se distinguait d’ailleurs pas parfaitement de la précédente, alors que l’on croyait à peu près universellement à la génération spontanée, ce qui ne remonte pas à une époque bien éloignée. Mais des travaux récents et qui seront une gloire de notre siècle et de notre France, semblent avoir relégué définitivement au rang des mythes la vieille croyance des âges antérieurs.

Loin de se trouver ébranlée par ce changement des circonstances, tant la logique des faits influe peu sur la constitution des hypothèses, la thèse matérialiste a au contraire, de nos jours, reçu comme une vie nouvelle par l’introduction de la doctrine évolutionniste. L’évolution se prête si facilement à expliquer tant de choses, ne pourrait-on aussi lui faire expliquer la vie ?

Je ne remarque point cependant qu’on ait osé en fait pareille tentative. On s’est dit sans doute qu’au fond l’évolution supposait la vie et l’on s’est contenté de reproduire la vieille thèse, sans la rajeunir sensiblement. Son insuffisance est visible ; on devrait au moins essayer de nous dire quels éléments doivent être supposés en présence-et sous quelles conditions extérieures.

Mais je veux surtout remarquer que logiquement cette thèse est intenable devant celle de l’hylozoïsme. S’il y a en effet un caractère bien constant de la vie, c’est de naître de la vie. Supposons donc réalisé le desideratum du matérialisme ; un cas de génération spontanée de l’être le plus élémentaire que l’on connaisse ou que l’on puisse s’imaginer ; supposons ce cas bien constaté scientifiquement ; s’il y a une logique, si l’induction n’est pas un vain mot, on conclura légitimement que cette substance vivante n’a pas été produite par des matériaux bruts, mais bien développée par des êtres organisés trop petits pour que nous ayons pu les soupçonner jusqu’alors, mais que nous nous mettrons à rechercher avec ardeur.

C’est ainsi que depuis Anaximène la science a amassé des faits qui, à première vue, semblent plutôt probants pour le pluralisme ; qu’elle n’en recherche pas moins l’unité, avec une invincible obstination, et qu’alors elle retombe fatalement sur l’antique hylozoïsme. Je l’ai qualifié plus haut d’hypothèse gratuite, au point de vue scientifique ; ai-je besoin de dire que les hypothèses du dualisme ne le sont pas moins ?

Paul Tannery.