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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/671

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revue générale. — quelques criminalistes italiens

de gare, par suite d’une de ces éclipses instantanées de mémoire qui ne sont pas dues à l’inattention et que les plus attentifs n’évitent pas, occasionne le choc de deux trains et la mort de cent personnes. Le mal direct est grand, l’alarme générale est immense. Pourtant ce malheureux, plus à plaindre qu’à blâmer, sera loin d’être puni autant que l’auteur d’un petit vol avec effraction, dont une commune s’est à peine inquiétée. Pourquoi ? Parce qu’on aurait beau le pendre ou l’écarteler, on ne préviendrait pas dans l’avenir la reproduction d’un seul de ces faits, reproduction toute fortuite et nullement imitative, toute physique et physiologique et nullement sociale dans ses causes.

On pourrait donc rester utilitaire et éviter de tels écarts de doctrine. Maintenant, admettons que, en condamnant à mort ce chef de gare simplement malheureux, on donnera de la sorte à tous les chefs de gare du pays un avertissement salutaire réellement propre à prévenir le retour aussi fréquent de pareils accidents, c’est-à-dire, par exemple, à éviter dans l’avenir la mort d’une dizaine de personnes. Au point de vue utilitaire, ne semble-t-il pas qu’il y ait tout avantage à sacrifier une vie humaine pour en sauver dix. C’est juste, et pourtant la conscience de ce public même dont le législateur aura pris les intérêts avec tant de logique utilitaire se révoltera contre la barbarie d’un tel châtiment. Pourquoi ? demanderons-nous encore. Parce que responsabilité implique causalité à coup sûr ; sinon, ce qui est très contestable, liberté. Or un homme ne saurait être réputé cause, à divers degrés, que des actes qu’il a faits par lui-même ou par les siens, ou qu’il a fait faire, ou auxquels il a paru adhérer en les laissant faire, ou enfin dont il a provoqué l’exécution. On comprend de la sorte qu’il soit dans une certaine mesure jugé d’avance co-auteur des actes qui seront probablement accomplis par imitation du sien, si on le laisse impuni, mais non de ceux qui, étant involontaires et par suite n’ayant pu naître par imitation, auront lieu pourtant dans la même hypothèse de l’impunité du sien et n’auront pas lieu si le sien est puni, parce qu’alors cette punition sera regardée comme un exemple à ne pas suivre. Je puis donc être châtié plus fort à raison et en prévision des actes que l’imitation du mien pourrait produire ; mais, quant à ceux qui, s’ils s’accomplissaient, ne seraient nullement copiés sur le mien, ils me sont étrangers ; et je ne puis donc, logiquement, être puni à raison de ces derniers, quoique d’ailleurs l’exemple de ma punition inconséquente puisse avoir pour effet d’empêcher leur accomplissement. Cela peut sembler subtil, mais qu’on y réfléchisse, on verra peut-être que c’est la seule solution possible des difficultés soulevées par ce sujet épineux. La responsabilité d’un agent, je le répète, indépendamment des actes qu’il a conseillés, commandés ou exécutés et où sa causalité n’est pas discutable, indépendamment aussi des actes qui émanent de ses enfants mineurs ou de ses serviteurs, personnes identifiées à la sienne par une fiction archaïque, de plus en plus repoussée d’ailleurs par nos mœurs, est restreinte aux conséquences sociales que peut produire la répétition