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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/672

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imitative par autrui de son acte propre ; mais celle-ci n’est possible qu’autant que son acte a pu être imitativement reproduit par lui-même, c’est-à-dire qu’il a été volontaire. — Tout s’éclaire ici à la lumière de cette idée d’imitation, notion sociologique par excellence ; tout s’obscurcit et s’embrouille avec l’idée équivoque d’utilité, pour seul et unique flambleau. En vertu des considérations précédentes, on peut s’expliquer comment il se fait que, au cours de la civilisation grandissante, la part et l’importance de l’involontaire dans la vie humaine aillent en décroissant, comme l’atteste la substitution incessante des Contrats aux engagements innés, ou de l’activité législative aux droits coutumiers.

En présence d’un mouvement si marqué, est-il possible d’effacer en droit pénal la distinction de l’accidentel et du volontaire comme hors d’usage et, sous prétexte de salut social, de refouler dédaigneusement, dans le rang des forces quelconques de la nature, ce produit éminent de la culture sociale, cette force civilisatrice par excellence, la volonté !

Le naturalisme de nos darwiniens du droit criminel se montre ici combiné avec leur utilitarisme (bien inférieur, remarquons-le, à celui de Bentham) ; mais, dans la brochure de M. Ferri sur le meurtre criminel chez les animaux, il s’étale, on peut lé dire, ingénument. Cette recherche sur les origines animales de la criminalité et aussi bien de la pénalité n’est pas nouvelle pour nous ; dans la Revue scientifique du 14 janvier 1882, M. Lacassagne a fait paraître à ce sujet un substantiel et piquant article, où il sait garder le ton qui convient et ne demander à nos frères inférieurs que des similitudes curieuses et intéressantes, sans paraître le moins du monde se faire illusion sur la portée des enseignements qu’un jurisconsulte peut en retirer. — Le point de départ est faussé par une suite de l’erreur précédemment signalée. Pour M. Ferri, toutes les fois qu’un animal tue un autre animal de son espèce intentionnellement ou non, il y a là le vrai pendant de nos homicides criminels. Partir de cette définition, c’est naturellement aboutir à toutes sortes de similitudes abusives et peu sérieuses. Tuer un cheval ou un chien par méchanceté est de la part d’un homme un fait bien plus punissable que celui de tuer un autre homme par pur accident. Et puis n’est-ce pas le meurtre — volontaire et par suite imitable — d’un individu par un autre individu, non de la même espèce ou de la même race, n’importe, mais appartenant à la même société, à la même tribu, au même troupeau, au même essaim, en un mot au même groupe social, soit animal, soit humain, qui est partout un crime et forme un genre dont l’homicide puni chez les hommes est un simple cas ? Ne brouillons pas ce qui est vital et ce qui est social, ce qui a la génération et ce qui a limitation pour cause essentielle, Resserrées dans de telles limites, les analogies entre l’animalité et nous seraient bien moins nombreuses, et il faudrait retrancher les trois quarts de la brochure de M. Ferri, mais elles seraient tout autrement instructives. En premier lieu, cette observation préliminaire que l’analogue de nos crimes est relativement rare dans les sociétés animales aurait de quoi