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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/673

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revue générale. — quelques criminalistes italiens

nous faire rougir si elle était fondée, d’autant mieux que les crimes des bêtes sont presque tous impunis par leur communauté et doivent l’être, n’étant presque jamais contagieux par imitation. Ce serait un terrible argument contre la civilisation. Fût-il vraiment démontré, en effet, que les corneilles des iles Féroë mettent à mort leurs compagnes coupables et qu’on a vu une fois une cigogne adultère écharpée par assemblée des siens, on m’accordera du moins que ce sont là des faits on ne peut plus exceptionnels et nullement comparables en fréquence à nos emprisonnements ou même à nos exécutions capitales ; et cependant la criminalité animale est stationnaire, pendant que la nôtre croit toujours ! faudrait-il donc reprendre les thèses de Rousseau sur la supériorité de l’état bestial ? Non, et pour ma part, en attendant qu’une statistique criminelle simienne me démontre mon erreur, je tiens les singes pour plus vicieux encore et méchants que les hommes.

Le seul service à espérer peut-être de ces études de criminalité animale comparée, ce serait de nous aider à dégager plus nettement ce que la nature, indépendamment de la société et du progrès social, nous apporte en naissant d’impulsions criminelles et même de procédés criminels, deux choses bien distinctes dont la seconde est totalement négligée par le savant professeur italien. Or, à première vue et moyennant beaucoup d’assimilations forcées, il peut bien sembler que, ni par les mobiles ressentis, ni par les moyens employés, les crimes animaux ne diffèrent radicalement des nôtres, d’où il suivrait que la société et le progrès social n’ont ajouté aucune corde à notre lyre intérieure. Les bêtes tuent par vengeance, par amour, pour voler, etc., comme les hommes ; et toutes les catégories de meurtres humains paraissent rentrer dans les vingt-deux classes de meurtres zoologiques consciencieusement distinguées par M. Ferri. D’autre part, les meurtriers de l’animalité ont leurs étrangleurs, leurs assommeurs, leurs noyeurs, etc. Cependant, sous ce second rapport, les différences s’accentuent, même de prime abord, car, si l’on peut contester que la vie sociale ait enrichi le cœur humain de passions réellement artificielles, au moins est-il indubitable qu’elle lui a procuré par ses découvertes mille ressources nouvelles pour satisfaire ses passions soi-disant naturelles. Où trouver le pendant animal du meurtre par le poison, par les armes à feu, par la dynamite, ou des défigurations par le vitriol ? — En outre, un troisième ordre de caractères échappe à toute comparaison : les ruses mises en œuvre pour cacher le crime à commettre et pour échapper au châtiment. Qu’on se rappelle les femmes coupées en morceaux, expédiées comme colis en chemin de fer aux quatre coins de la France. — Mais ces différences en entrainent d’autres et nous forcent à biffer les similitudes ci-dessus trop légèrement admises. C’est, en effet, la connaissance préalable des procédés spéciaux d’exécution, de recel, de feinte, de dissimulation, ignorés de l’animal et transmis par le langage, qui détermine le malfaiteur humain à l’assassinat. Puis, les impulsions criminelles ne sont les mêmes que de nom chez l’homme et chez les