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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/674

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animaux. La vengeance, la colère, l’amour, etc., ont ici des sources entièrement organiques, là des sources presque exclusivement sociales. Un chien jaloux et un homme jaloux ressentent les mêmes passions, à peu près comme un savant et un rat logé dans sa bibliothèque voient les mêmes livres. Le piano de l’animalité et celui de l’humanité peuvent être pareils, quoique ce dernier soit certainement plus étendu et d’un meilleur facteur ; mais, à coup sûr, il n’est pas joué de la même manière, et l’effet produit s’explique par la différence des airs, non par la similitude des pianos.

Enfin, quant à la question qui nous intéresse le plus, celle des réformes à opérer en droit pénal, de l’idéal criminel à poursuivre, quelles inspirations compte puiser la nouvelle école dans l’étude des animaux ? Aucune évidemment, et par malheur son utilitarisme est aussi peu propre à répondre sur ce point que son naturalisme. La grande illusion ici est de penser qu’en poussant à bout, dans ses dernières subtilités, l’analyse exclusivement utilitaire de la valeur des actions, on sera conduit à reproduire et à justifier, bien plus qu’à rectifier les jugements spontanés de la conscience morale en ses plus extrêmes délicatesses. Autrement dit, on croit, comme les anciens, que le juste et l’utile se confondent. C’est oublier que l’homme n’est pas seulement un faisceau de besoins, d’intérêts, de désirs, mais encore un faisceau de principes, de préjugés, de croyances, et qu’en fait ses besoins successifs sont nés de ses principes (surtout de ses découvertes), encore plus que ses principes ne se sont réglés sur ses besoins. Les besoins les plus forts à un moment donné en effet, par exemple les besoins d’art, de culte religieux, de liberté ou d’égalité politique, d’instruction classique ou scientifique, ne sont tels que parce que, à l’origine, étant les plus faibles encore, ils ont été jugés les meilleurs et encouragés à croître, Ii en a été ainsi dans le passé, et il en sera de même dans l’avenir, dût la théorie utilitaire s’implanter un jour dans tous les cœurs et contraindre toutes les consciences à ne prononcer jamais, sous forme de blâme ou d’éloge, que des déclarations d’utilité publique. Même alors les besoins de chacun lui apparaîtraient non comme devant être satisfaits seulement, mais comme devant être modifiés sans cesse, les uns comprimés, les autres stimulés. À moins de renoncer à tout espoir d’amélioration, il faudrait poursuivre cette sélection intérieure et artificielle des désirs entre-heurtés ; et l’insuffisance manifeste de l’utilitarisme éclaterait là. Car il nous dit bien que, de deux actions, la meilleure est celle qui est propre à satisfaire la plus grande somme de désirs humains (actuellement existants bien entendu) ; mais si nous lui demandons lequel, de deux désirs donnés et concurrents, est le meilleur et mérite le plus d’être propagé, quelle sera sa réponse ? Il faut sortir évidemment de cette doctrine étroite pour en trouver une et en appeler aux préférences esthétiques, désintéressées de la raison. Mais, dès lors, la réponse à la première question est convaincue elle-même d’insuffisance et dans certains cas de fausseté. Un acte est