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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/675

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revue générale. — quelques criminalistes italiens

commis qui, non réprimé et par suite imité progressivement, deviendrait un obstacle sérieux aux passions et aux tendances présentes du pays, c’est-à-dire une source de maux publics, mais qui, en même temps, serait de nature à favoriser le développement d’autres passions, d’autres tendances et à être jugé bienfaisant plus tard si cette réforme des mœurs s’opérait. Cet acte doit-il être permis ? Si un agent est punissable dans la mesure où il est préjudiciable d’après Ferri, où il est redoutable d’après Garofalo (singulière quantité d’ailleurs que la temibilita de celui-ci !), il n’est point de novateur, d’inventeur de génie, qui n’ait commencé par mériter la corde, car il n’en est pas un dont les innovations n’aient été d’abord senties comme un mal par un certain nombre bien avant d’être senties comme un bien par la majorité. Et, dans l’intervalle, de quel droit les utilitaires l’auraient-ils exempté du châtiment ? Pourquoi se permettraient-ils de prédire les changements futurs des habitudes, des goûts, des besoins généraux ? Positivistes, ils ne sauraient se fonder que sur des faits, et je m’étonne que, prenant les besoins sociaux tels quels sans discussion de leur valeur pour juger utile et moral tout ce qui les satisfait, nuisible et immoral tout ce qui les contrarie, ils ne prennent pas tout aussi bien les préjugés ou les principes sociaux tels quels, sans les critiquer davantage pour juger vrai ou faux tout ce qui leur est conforme ou contraire. Alors même que le point de vue utilitaire eût réellement contraint Ferri à confondre les actes nuisibles des fous avec les délits intentionnels et à les juger autant que ceux-ci punissables, je constate que, par une assertion aussi étrange, Ferri fait violence à l’opinion, et l’opinion publique n’est pas moins respectable que l’intérêt public dont elle est la source. L’utilité sociale considérée comme l’unique fondement de la morale ! mais pourquoi pas aussi bien de l’esthétique ? Quand on m’aura prouvé que la production des chefs-d’œuvres de l’art — et aussi bien des goûts, des besoins spéciaux, qu’ils ont fait naître encore plus que satisfaits — s’explique par la méthode utilitaire, alors je pourrai admettre aussi que les plus admirables et les plus délicates vertus humaines ont jailli de la même source.

Pendant que l’école positiviste dirige toutes ses batteries contre l’école classique avec une science et une force auxquelles, malgré la part faite à la critique, nous nous plaisons à rendre hommage, un troisième larron grandit qui a des visées bien autrement redoutables, car ici comme partout, entre les évolutionnistes et les révolutionnaires, un duel à mort est prochain. L’école socialiste, dit Turati dans sa brochure, a son mot à dire ici. Un mot bien simple d’ailleurs. Etablissez l’égalité absolue des conditions, et par ce seul fait vous réduirez immédiatement des deux tiers (pourquoi pas aussi bien des trois quarts ou des quatre cinquièmes ? je l’ignore) la somme de la criminalité. En effet, le besoin de pain, il bisogno di pane, explique et justifie les vols, et autres délits contre les biens et aussi pas mal de délits contre les personnes, et le besoin d’amour, il bisogno d’amore, motive suffisamment les méfaits