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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/676

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contre les mœurs. C’est la faute de la bourgeoisie, qui accapare toutes les propriétés et qui, se réservant l’exécutoire coûteux de la prostitution, exerce le monopole de l’amour. Reste une autre cause, l’alcoolisme ; encore une suite de l’accaparement bourgeois, qui contraint le peuple « à suppléer à l’insuffisance de sa nourriture par un excitant dangereux et peu coûteux » (noter que la consommation d’alcool ayant plus que triplé en un demi-siècle, il s’ensuivrait que le dénuement du peuple s’est accru d’autant malgré la grande élévation des salaires). — Or, avec l’égalité des fortunes, personne évidemment n’aura plus faim, et, moyennant lé nivellement des conditions sociales de l’amour, nul ne connaîtra plus de passion malheureuse, Sans exiger trop de précision au sujet de ce nivellement-là, on peut demander qui se chargera de fournir aux vieillards portés à des attentats sur des enfants de l’un ou de l’autre sexe, c’est-à-dire à la classe la plus nombreuse des délinquants contre les mœurs, précisément l’espèce d’amour dont ils ont besoin. Quand on voit le penchant à ce genre de méfaits croître avec le progrès de l’âge, c’est-à-dire à mesure que décroît le bisogno d’amore ; quand on voit en outre ces méfaits rares aux champs, où les occasions « d’amour » sont si rares, se multiplier, grâce à la vie d’atelier qui favorise si fort « l’amour » non seulement vénal, mais gratuit, on peut douter que ta distribution la plus abondante et la plus équitable de rations amoureuses faites au peuple fût de nature à tarir cette source féconde de criminalité. Il n’est pas moins douteux, quand on voit, au fur et à mesure des progrès de l’aisance publique et de l’égalisation sociale, les vols tripler en France et augmenter partout, qu’il suffit de rendre l’aisance plus générale et plus égale encore pour prévenir et supprimer les attentats contre la propriété. Il y a là des erreurs que la statistique rectifie. Une autre erreur de M. Turati est de penser que le contingent numérique fourni par les diverses classes sociales à la criminalité est d’autant plus fort qu’elles sont plus pauvres, car ce qu’il reproche le plus à la bourgeoisie, c’est, outre son « monopole d’amour », son monopole d’honnêteté ou de non-criminalité relative ! Elle est coupable à ses yeux de tous les crimes qu’elle ne commet pas, mais qu’elle fait commettre au peuple. Par malheur, j’ai à lui faire observer que, de toutes les catégories de la société française, la moins criminelle, la moins délictueuse est, avant même celle des professions libérales et « bourgeoises », la classe rurale, justement la partie la plus pauvre de la nation.

Je n’occuperais point de ces idées, peu nouvelles pour nous Français, les lecteurs de la Revue, s’il n’était intéressant de noter le progrès et l’uniformité des utopies socialistes en tout pays. L’école positive aurait tort de ne pas s’inquiéter de ce nouvel adversaire qui, comme l’ancien, l’école classique, procède par à priori et construction de toutes pièces, moins solides mais plus séduisantes que des échafaudages. Or les positivistes se disent eux-mêmes plus propres à échafauder qu’à construire. Au surplus, il y a de bonnes choses dans la brochure de