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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/677

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revue générale. — quelques criminalistes italiens

M. Turati, écrite avec chaleur et sincérité. Je lui pardonne son scepticisme au sujet des bienfaits moraux qu’on attend de l’école obligatoire, « cette grande illusion bourgeoise ». Il a raison de ramener à des influences sociales la plupart des influences physiques et physiologiques qualifiées facteurs de crimes par Ferri et les statisticiens. Sa critique sur ce point est juste et perçante par endroits ; il y aurait même à reprendre et à étendre sa thèse. Combien de caractères nationaux soi-disant inhérents à la race sont dus à l’action des mœurs et de l’éducation, c’est-à-dire d’un ensemble d’exemples propagés de siècle en siècle à partir de novateurs innombrables, anonymes, accidentels ! Un Irlandais élevé en Amérique ou en Angleterre deviendra actif autant qu’un Anglais élevé en Irlande deviendra indolent. Il n’est pas jusqu’à la source même de l’hérédité, la génération, qui, chez l’homme civilisé, ne se montre infiniment moins sensible aux influences héréditaires, biologiques, qu’à celles du milieu social : témoin les Français du Canada, si prolifiques quand leurs frères européens Île sont si peu. Si donc on vient nous parler de crimes expliqués par un tempérament soi-disant, criminel ou mieux encore par la disette, par le froid, etc., nous croirons en général à une analyse superficielle et incomplète des faits. Les forces — toujours naturelles, je le sais — d’où naissent nos actes n’entrent dans le milieu social qu’en s’y réfractant, et leur direction définitive, celle qui importe, vient de là. Une disette, dit très bien M. Poletti quelque part, provoque un surcroît d’actes de bienfaisance aussi bien que de vols. Oui, l’homme n’est, comme homme, que par la société ; il ne pense, il n’agit que par elle ; ses crimes comme ses vertus, ses malheurs comme sa prospérité sont des produits sociaux. La changer, donc c’est le transformer infailliblement ; mais la bouleverser, c’est le détruire ; et ne pourrait-on pas définir le socialisme pratique un excellent moyen de détruire les biens sociaux afin de les mieux répartir ? L’erreur est de croire, avec Jean-Jacques Rousseau, que l’homme naît bon et que la société le déprave. La contradiction est de penser avec M. Turati, d’une part, que le libre arbitre est un rêve et l’imputabilité morale une chimère, d’autre part que la société bourgeoisement organisée est responsable de tous les délits commis par le peuple, que les délits du peuple sont le crime le la société, — autrement dit que personne n’est coupable de rien et que tout le monde est coupable de tout. Enfin il est peu probable que le meilleur remède contre le mal croissant de la criminalité soit non un meilleur système pénitentiaire ou pénal, mais la suppression (le mot y est) des classes élevées. L’auteur d’ailleurs se défend d’être sanguinaire, et, quoiqu’il parle avec admiration de Marat, il nous assure qu’au fond, sa religion, comme celle du Christ, est une religion d’amour. L’amour, le Christ : on voit bien, malgré tout, que nous sommes en Italie.

Avant de finir, je saisis l’occasion de répondre brièvement aux critiques d’ailleurs si courtoises que m’a faites M. Poletti dans sa lettre publiée par la Revue du 1er mars. Je passe sur des reproches secondaires que