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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/68

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une abstraction ou un métaphore. N’est-ce pas un mal certain, indéniable, qu’une classe ou une catégorie de citoyens, si active ou si affairée qu’elle soit devenue, celle des industriels ou des femmes mariées par exemple, fournisse un contingent triple, sextuple, à la justice criminelle du pays ? N’est-ce pas un mal aussi que, depuis quarante ans, le nombre des faillites ait doublé, quoique le développement commercial ait plus que doublé[1] ? Ce mal était du reste si peu inévitable, malgré le principe purement arbitraire d’où part M. Poletti, qu’un mal moindre, celui des procès de commerce, a diminué depuis 1861, malgré l’essor croissant des affaires. C’est ainsi que, grâce à la civilisation également, les occasions de guerres, les excitations belliqueuses n’ont jamais été si nombreuses ni si fortes que dans la période la plus pacifique de notre siècle, de 1830 à 1848. Quant aux procès civils, ils se reproduisent régulièrement en nombre égal, chose remarquable, malgré la complication des intérêts, la multiplication des contrats et des conventions, le morcellement de la propriété. Cependant qu’y aurait-il eu de plus acceptable a priori que de regarder l’accroissement des procès civils ou commerciaux comme un signe constant et nécessaire de prospérité, d’activité civile et commerciale ?

Je comprendrais mieux un point de vue précisément contraire à celui que nous réfutons. Comment ! l’acroissement de l’activité laborieuse et de la richesse rendrait naturel celui des crimes et des délits ! mais que devient donc ce pouvoir moralisateur dû travail, cette vertu moralisatrice de la richesse, dont on a tant parlé ? L’instruction aussi a fait de grands progrès. Que devient l’action bienfaisante tant préconisée des lumières sur les mœurs ? Quoi ! ces trois grands remèdes préventifs du mal social, le travail, l’aisance générale, l’instruction, triplés ou quadruplés, ont agi à la fois, et, au lieu de tarir le fleuve de la criminalité a débordé ! De deux choses l’une : ou il faut reconnaître qu’on s’est trompé en attribuant à ces causes une influence bonifiante, ou il faut avouer que pour leur avoir résisté, et avec tant d’avantage, les penchants criminels ont dû grandir beaucoup plus vite encore qu’elles ne se déployaient. Dans les deux cas, il est clair que la société a réellement empiré, comme les chiffres de la statistique criminelle l’indiquent, mais, dans le second, beaucoup plus qu’ils ne l’indiquent. Heureusement il y a une troisième alternative que nous omettons : c’est que quelques autres causes,

  1. Ce qui est plus grave peut-être, la proportion des faillites closes pour insuffisance d’actif a presque doublé aussi. De plus en plus on expose l’argent d’autrui. « Les intérêts engagés dans les entreprises commerciales sont de moins en moins sauvegardés. »