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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/86

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des assimilations, là il faut renoncer à tout progrès. Avec une magistrature élective, rien d’analogue à l’excellente mode, devenue habitude traditionnelle, de la correctionnalisation, n’aurait pu se propager. Et ce progrès est bien dû à limitation spontanée agissant de magistrat à magistrat, et non aux circulaires, car, dans le rapport sur la statistique de 1859, je lis au contraire que le garde-des-sceaux ne cesse de recommander à la magistrature d’user de ce procédé avec une grande réserve. Les remaniements continuels de la législation relativement à l’organisation et aux opérations du Jury ont pu le rendre meilleur ; la magistrature, en s’accommodant d’avance et de mieux en mieux à ses exigences, a pu faire que la proportion des verdicts négatifs ait diminué de moitié (car c’est elle seule, encore une fois, qu’il convient de féliciter d’un tel résultat, comme le fait le garde des sceaux) ; mais, par lui-même, il n’a en rien progressé ! Prenez-le tel qu’il est avec ses qualités incontestables et ses défauts incorrigibles, avec ses idées qui varient seulement suivant les caprices de l’opinion régnante, de cette opinion dont le mépris est le respect même de l’expérience et de la raison ; mais n’attendez de lui aucune réforme de ses manies, de ses préjugés, de ses imprévoyances. Pourquoi est-il plus sévère pour les vols (9, 12 et 24 acquittements pour 100 accusations) que pour les faux et les banqueroutes frauduleuses, ces vols sur une grande échelle (37 et 47 acquittements pour 100) ? Pourquoi, en Corse, quand l’épidémie des assassinats par vengeance redouble d’intensité, ne sent-il pas la nécessité d’y remédier par une sévérité plus grande ? Cela est ainsi, et cela persistera ; et si quelque bon jury çà et là se montre prévoyant, ferme et logique, son exemple, non suivi, sera peine perdue.

Il résulte de tout ceci que, si l’on veut avoir une magistrature élective, sans cohésion ni esprit de corps, et en cela pareille au jury, on ne doit lui demander aucun progrès spontané. Elle aura dès le début ses avantages propres, bien que son premier effet soit probablement une augmentation énorme des procès de tout genre dès le lendemain de son installation. Mais le moindre de ses mérites à coup sûr sera la perfectibilité.

La comparaison des trois statistiques que nous venons de parcourir, à savoir la statistique criminelle, la statistique civile et la statistique commerciale, pourrait se résumer ainsi : la première est une montée, la seconde un mouvement horizontal, la troisième une

    on constate souvent le contraire ; dans le ressort de Douai, notamment, l’un des moins processifs de France, on est aussi confirmatif ou à peu près que dans ceux de Chambéry et de Grenoble, des plus féconds en procès. La chose n’est explicable, à mon avis, qu’en tenant compte des habitudes traditionnelles propres à chaque cour.