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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/88

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celle des institutions à leurs principes, n’a qu’un temps ; et où les générations nouvelles iront-elles puiser leur moralité à mesure que la source ancienne tarira ? En d’autres termes pour lutter contre les penchants destructeurs, quels sentiments féconds, différents des précédents, fortifiera-t-on en elles ? Car ce sont des sentiments, et encore mieux des principes, c’est-à-dire des résidus de convictions stables, inconscientes, définitives, et non des idées, c’est-à-dire des convictions en train de se faire, en train de descendre de l’esprit au cœur, et du cœur au caractère, qu’il s’agit de susciter ici.

Qu’on ne s’étonne donc pas de ne découvrir dans la statistique criminelle la trace d’aucune influence bienfaisante exercée par le progrès de l’instruction primaire sur la criminalité. On voit bien clairement l’action de l’instruction sur la folie et le suicide, qui augmentent parallèlement avec ses progrès ; on n’aperçoit nullement son action soi-disant restrictive sur la criminalité. Le rapport officiel en fait foi et le déplore. Un tableau montre que les départements où la population des illettrés est la plus forte sont bien loin d’être toujours ceux où les accusés sont les plus nombreux, eu égard au chiffre de leur population. D’autre part, les campagnes, qui sont moins instruites, donnent 8 accusés par an sur 100,000 habitants, et les villes 16. C’est juste le double. S’ensuit-il néanmoins que le degré d’instruction d’un peuple soit chose différente au point de vue criminel ? Non. D’abord il influe évidemment sur la qualité, sinon sur la quantité des méfaits. Et il en est de même du degré de la richesse. Un peu plus de lumières, un peu plus d’aisance développe certains appétits, en comprime d’autres, bouleverse enfin la hiérarchie intérieure de nos désirs, sources de nos crimes et de nos délits. Dans les départements pauvres, les crimes contre les personnes égalent en nombre les crimes contre les propriétés. Dans les départements riches, la proportion de ces derniers l’emporte beaucoup. Si la statistique comparée des vols détaillait cet article d’après la nature des objets volés, — mention sociologiquement bien plus utile que les indications relatives à l’âge des voleurs, — on verrait sans doute que depuis quarante ou cinquante, depuis que la France s’enrichit, le nombre proportionnel des vols de récoltes a diminué, tandis que celui des vols de bijoux, des vols d’argent ou autres a augmenté et augmente encore. De même, la proportion des délits contre les mœurs, des rébellions, des escroqueries, etc., s’est fort accrue, effet probable de l’émancipation et de l’affinement des esprits.

Mais, tant qu’il s’agit de l’instruction simplement primaire, il faut reconnaître que la quantité des crimes et des délits pris en bloc n’est pas le moins du monde atteinte par sa diffusion. Au contraire, l’action