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de sujets ; M. Liébeault sur des milliers ; je pourrais citer nombre de médecins qui ont confirmé par leur expérience personnelle ma manière de voir. J’ai dit que la suggestion me paraissait jouer un rôle dans la production de ces trois phases. On me dira que je ne suis pas tombé sur un sujet favorable. J’ai expérimenté, par exemple, sur mille sujets ; je pourrais tomber sur un mille-unième qui présenterait les phénomènes constatés à la Salpêtrière. Sans doute, je ne puis démontrer que cela n’est pas ; mais il m’était permis de dire ce que j’ai dit : « Si je me trompe, si ces phénomènes se rencontrent primitivement et en dehors de toute suggestion, il faut reconnaître que ce grand hypnotisme est un état rare. Binet et Féré disent que, depuis dix ans, il n’en a passé qu’une douzaine de cas à la Salpêtrière. Ces douze cas opposés aux milliers de cas dans lesquels ces phénomènes font défaut doivent-ils servir de base à la conception théorique de l’hypnose ? »

Je n’ai pas réussi davantage à provoquer avec les aimants le transfert d’un côté à l’autre du corps des phénomènes divers provoqués dans l’hypnose, tels que paralysie, contracture, hallucinations ; je n’ai réussi que par la suggestion avec ou sans aimant. Que l’aimant ait une action sur l’organisme, cela est possible. Ce que je nie, c’est l’action spéciale constatée par MM. Binet et Féré ; je nie le transfert des attitudes et des hallucinations avec la douleur exactement localisée à la région du crâne sus-jacent au centre cortical (souvent hypothétique !) dévolu au phénomène transféré.

M. Binet, qui doit s’y connaître (je suppose qu’il a fait des études de médecine clinique et expérimentale, puisqu’enfin il nous juge), affirme que je n’ai pas la méthode, que je ne sais pas expérimenter. C’est dur ! Il veut bien reconnaître, et cette fois je suis de son avis, que mon collègue Beaunis est un expérimentateur de race. Or M. Beaunis a bien voulu assister à mes expériences, les contrôler et les confirmer.

J’ai montré enfin que l’action du prisme sur les hallucinations était un simple effet de suggestion. Les images hallucinatoires sont modifiées par le prisme ou par la lorgnette, quand les sujets savent que la lorgnette doit agrandir ou rapprocher, que le prisme doit dédoubler, ou quand ils trouvent dans un objet réel, fût-ce une raie peu perceptible, un point de repère qui, subissant l’effet optique du prisme ou de la lorgnette, leur suggère le même effet pour l’image hallucinatoire. Ici je dois reconnaître que M. Binet avait signalé dans son article Hallucination (Revue philosophique, 1881) l’existence de points de repère qui servent de substratum matériel à l’hallucination, et j’en donne volontiers acte à mon honorable contradicteur. Mais, s’il en est ainsi, ces expériences constituent-elles une méthode d’objectivation du phénomène, méthode que M. Binet me reproche d’avoir négligée ? Le prisme ne dédouble pas l’image : les instruments d’optique n’ont aucune action sur elle. C’est l’imagination du sujet qui, éclairée par les points de repère matériels places dans le champ de la lunette, lui suggère psychiquement le dédoublement ou l’agrandissement. Quand l’expérience est faite dans