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correspondance

l’obscurité et qu’on fait voir une image suggérée, successivement, à travers des lunettes qui la modifient d’une façon variable, la doublant, la quadruplant, la rapetissant, l’agrandissant, le sujet, désorienté ou plutôt non orienté en l’absence de points de repère, voit au hasard et suivant les caprices de son imagination, l’image doublée, quadruplée, rapetissée, agrandie ; ses indications n’ont plus rien de conforme aux lois de l’optique ; elles sont guidées par l’imagination, c’est-à-dire par l’auto-suggestion. Sont-ce là des caractères objectifs ? L’hallucination n’a que des caractères subjectifs, objectivés par l’imagination.

Enfin, j’ai fait des expériences sur les mélanges de couleurs suggérées et j’ai conclu que, contrairement à l’assertion de nos contradicteurs, la teinte résultante, telle qu’elle serait produite par la fusion de deux couleurs complémentaires réelles, ne se produit pas pour les couleurs suggérées. Ici encore, M. Binet dit que je m’y suis mal pris. Prévoyant l’objection, j’ai demandé pour ces expériences le concours de mon collègue Charpentier, un des hommes les plus compétents qui existent pour les expériences d’optique physiologique.

Un mot encore sur deux assertions que M. Binet me prête gratuitement. Il me fait dire que mes dormeurs ne sont en rapport qu’avec l’opérateur, et ajoute qu’on pourrait m’objecter ironiquement que c’est par suggestion. Je n’ai pas dit que mes dormeurs ne sont en rapport qu’avec moi. Parmi eux, les uns ne répondent tout d’abord qu’à l’opérateur, les autres répondent d’emblée à tout le monde, et les premiers peuvent être mis très facilement en rapport avec tout le monde. Ce n’est en effet qu’une question de suggestion et l’ironie de mon contradicteur porte à faux !

Parlant de l’expérience de la photographie suggérée sur un carton blanc et que le malade retrouverait entre six ou dix cartons pareils, M. Binet me fait dire qu’après avoir essayé l’expérience quatre fois, sans réussir, je l’ai déclarée fausse. La mémoire de M. Binet le sert mal : je ne parle nulle part de cette expérience. Je ne doute pas d’ailleurs qu’elle ne puisse réussir, si le sujet trouve sur le carton en question un point de repère qui lui suggère la localisation spéciale de l’image. Encore et toujours la suggestion. Qu’y puis-je ?

Je ne veux pas poursuivre cette discussion ; car la lumière ne surgit pas de la discussion, mais de l’examen des faits. Aucune discussion ne peut faire qu’un fait faux soit vrai ou qu’un fait vrai soit faux.

J’ai taxé d’illusoires certaines expériences de MM. Binet et Féré ; je le maintiens et je défie qui que ce soit de les reproduire dans des conditions telles que la suggestion ne puisse être en jeu. J’ai rendu justice à tout le monde : à M. Richet qui, dès 1875, et sans connaître les recherches de M. Liébeault, a eu le mérite de rappeler l’attention du monde médical sur l’hypnose et qui a l’un des mieux étudié et mis en relief ses phénomènes psychiques, à M. Charcot qui, par sa grande autorité, a imprimé une impulsion puissante à ces recherches. Me sera-t-il permis d’ajouter que la question a pris un nouvel et plus fécond