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GAROFALO.le délit naturel

modernes sur les mœurs des sauvages nous apprennent que le parricide a été une coutume religieuse parmi plusieurs tribus. Le sentiment du devoir filial poussait les Massagètes, les Sardes, les Slaves et les Scandinaves à tuer leurs parents malades ou arrivés à la vieillesse extrême. On dit que les Fuégiens, les Fidjiens, les Battas, les Ikschoutes, les Kamtschadales et les Nouveaux-Calédoniens suivent, même de nos temps, cette affreuse coutume. Le meurtre par simple brutalité est permis aux chefs de plusieurs peuplades de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des îles Fidji, de l’Afrique centrale. Il est même permis aux guerriers de tuer un homme pour montrer leur force ou leur adresse, pour exercer leurs mains, pour expérimenter leurs armes, sans que cela révolte le moins du monde la conscience publique. Il y a des légendes de cannibalisme par gourmandise à Tahiti et ailleurs. Enfin le meurtre pour voler la victime a été toujours pratiqué par les sauvages d’une tribu sur ceux d’une tribu voisine.

S’il faut donc renoncer à la possibilité de former un catalogue de faits universellement haïs et punis en n’importe quel temps ou quel lieu, est-il de même impossible d’obtenir la notion du délit naturel ? Nous ne le croyons pas ; mais, pour y parvenir, il faut changer de méthode, abandonner l’analyse des actions et entreprendre celle des sentiments. Le crime, en effet, est toujours une action nuisible, qui en même temps blesse quelques-uns de ces sentiments qu’on est convenu d’appeler le sens moral d’une agrégation humaine. Or le sens moral s’est développé lentement dans l’humanité ; il a varié et il varie encore dans son développement, selon les races et les époques. On a vu croître ou s’affaiblir les uns ou les autres des instincts moraux dont il est formé. De là des variations énormes dans les idées de la moralité ou de l’immoralité, et partant des variations non moins considérables dans l’idée de cette espèce d’immoralité qui est une des conditions sans lesquelles un acte nuisible ne sera jamais considéré comme un acte criminel. Ce qu’il s’agit de découvrir, c’est si malgré l’inconstance des émotions excitées par certains actes différemment appréciés par les différentes agrégations, il n’y a pas un caractère constant dans les émotions provoquées par les actes qui sont appréciés d’une manière identique, ce qui impliquerait alors une différence dans la forme, non dans le fond de la morale. C’est donc l’évolution du sens moral qui pourra seule nous éclairer.

L’origine du sens moral est attribuée par Darwin à la sympathie instinctive pour nos semblables, par Spencer au raisonnement, qui, dès les premières agrégations humaines ayant fait comprendre la