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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

compliqués, laissant subsister entre eux des traces matérielles. Exemples : Déplacer des objets sur une étagère ; prendre un sou dans la poche d’autrui et le mettre dans la sienne.

4o Ces actes et ces hallucinations oubliés à l’état de veille sont parfaitement remémorés à l’état hypnotique.

De ces faits, M. Beaunis tire la conclusion suivante : « Il est impossible d’assimiler cet état de veille dans lequel les suggestions sont possibles à l’état de veille ordinaire. Il y a là un état particulier tout à fait spécial et qui mérite une étude à part ».

M. Beaunis signale cependant des exceptions à cette abolition du souvenir, notamment quand la suggestion doit se réaliser à longue échéance (par exemple, le lendemain) ou quand elle porte sur des rêves à avoir pendant le sommeil naturel. « Il semble donc que la perte du souvenir ne s’étende qu’à un certain laps de temps (plus ou moins long à déterminer) après l’intimation de la suggestion. »

M. Beaunis passe ensuite à l’examen des suggestions à l’état de veille. Il rappelle qu’elles ont été surtout étudiées par le Dr Bernheim d’abord, puis par M. Liégeois. Voici ce qu’en dit M. Bernheim : « Beaucoup de sujets qui ont été hypnotisés antérieurement[1] peuvent, sans être hypnotisés de nouveau…, présenter à l’état de veille l’aptitude à manifester les mêmes phénomènes suggestifs. »

De son côté, M. Liégeois dit ceci : « Ce qui est surtout très singulier…, ce qu’il serait très intéressant d’étudier à fond et de bien caractériser, c’est l’état du sujet mis en expérience. Il ne présente pas la moindre apparence de sommeil…, il semble être dans un état absolument normal, excepté sur le seul point où porte la prohibition de l’expérimentateur. » Il propose d’appeler « cet état vraiment bizarre » condition prime[2].

M. Beaunis juge que le tableau tracé par M. Liégeois est « d’une exactitude frappante ». Mais, ajoute-t-il, il manque un trait à ce tableau, et c’est précisément ce trait qui constitue la caractéristique

  1. J’ai lieu de croire que cette condition n’est pas absolument requise.
  2. Dans la Revue de l’Hypnotisme, 1er nov. 1886, à propos d’une suggestion donnée par M. Liégeois et réalisée à un an d’intervalle, on lit que le savant professeur abandonne cette dénomination : « Quant à l’état dans lequel N… a eu son hallucination et a fait les actes suggérés, il a paru de plus à M. Liégeois qu’on ne pouvait le considérer comme étant l’état de veille normal. L’expérimentateur pense, au contraire, et M. Liébeault partage sa manière de voir, qu’il se produit, en pareil cas, une sorte de condition seconde analogue au cas de Félida X…, de Bordeaux, dont M. le professeur Azam a entretenu, il y a quelques années, l’Académie des sciences morales et politiques. Ce serait donc, si l’ou peut ainsi parler, une condition seconde provoquée ; cette désignation paraîtrait aujourd’hui à M. Liégeois préférable à celle de condition prime, qu’il avait d’abord propose dans son Mémoire lu à l’Institut au mois d’avril 1884.