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réelle de cet état spécial ; je veux parler de cette perte partielle de la mémoire que j’ai signalée déjà, perte qui ne porte que sur la suggestion qui vient d’être faite, tandis que le souvenir est conservé pour tout le reste. Il y a là une distinction capitale et qui n’a été faite par aucun des observateurs précités » (p. 69[1].)

M. Beaunis distingue cet état et du sommeil hypnotique avec les yeux ouverts, et de l’état de fascination décrit par le Dr Brémaud (Société de Biologie, 1883, 27 octobre), et du charme décrit par le Dr Liebeault (dans son livre sur le Sommeil, p. 32) comme étant « sur la limite de la veille et du sommeil ». Pour M. Beaunis cet état « n’est ni le sommeil hypnotique ni la veille. Il se distingue du sommeil hypnotique par plusieurs caractères : le sujet est parfaitement éveillé, il a les yeux ouverts, il est en rapport avec le monde extérieur ; il se rappelle parfaitement tout ce qui se dit ou se fait autour de lui, tout ce qu’il a dit ou fait lui-même ; le souvenir n’est perdu que sur un point particulier, la suggestion qui vient de lui être faite ; c’est par là et par la docilité aux suggestions que cet état se rapproche du somnambulisme. Ces deux caractères sont, du reste, les seuls qui le distinguent de l’état de veille ordinaire. »

Il y a danger à trop multiplier les distinctions. Une fois dans cette voie, il n’y a plus lieu de s’arrêter[2]. Je vais m’efforcer de prouver qu’en réalité, tous ces états intermédiaires entre la veille et le sommeil hypnotique sont bel et bien du sommeil hypnotique. Sans doute, comme le dit quelque part M. Richet, rien n’est parfois plus difficile que de distinguer le sommeil de l’état normal. Mais justement c’est en éliminant avec soin comme accidentels tous les caractères qui, si fréquents qu’ils soient, ne sont pas constants, qu’on parviendra à bien fixer les caractères essentiels de l’hypnose, et par là, si on le peut, remonter un jour à sa cause. Tel est le premier pas à faire dans toute espèce de recherches.

III

Les lecteurs de la Revue qui ont lu mon article sur la Mémoire chez les hypnotises voudront bien se rappeler peut-être comment, dès ma

  1. J’ai fait cette remarque à la Salpêtrière lorsque M. Féré suggéra à la W….. d’aller embrasser « l’homme vert ». J’ai cru, à ce moment, que l’oubli de l’acte spécial ridicule était simulé. Dès mes premières expériences avec J….., j’avais changé d’avis. Voir mon article sur la Mémoire chez les hypnotisés (mai 1886, p. 461)
  2. Il n’en faut d’autre preuve que l’article sur les phases intermédiaires de l’hypnotisme, par M. Pierre Janet, dans la Revue scientifique, no du 8 mai 1886.