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Eh bien ! cet acte participe à la fois des caractères de ces trois sortes de phénomènes. Il est intellectuel, car la conscience, et par conséquent la volonté, y prennent une certaine part ; il est instinctif, car c’est un instinct très nécessaire à la vie, et général à tous les êtres, que de se soustraire à un contact douloureux. Enfin il est réflexe, car il n’est pas déterminé par la volonté, et le retrait de la main se fait avant même qu’on ait résolu d’effectuer le mouvement.

Voilà donc un acte réflexe élémentaire, qui est en même temps une action intelligente et un instinct.

Chez les êtres inférieurs, beaucoup de mouvements instinctifs ne sont que des actes réflexes. Voici une patelle accrochée à son rocher ; elle y est faiblement unie, et se déplace lentement sur la surface de la pierre. Mais essayez de l’enlever, et touchez sa coquille : aussitôt la patelle se fixera à la roche avec une solidité extrême, et vous aurez les plus grandes peines à l’en détacher. Son adhésion à la pierre a été instinctive, soudaine, déterminée fatalement par le contact d’un agresseur. C’est une action réflexe ; c’est un instinct aussi.

Il est vraiment impossible de dire où commence l’instinct et où finit l’action réflexe. Ces deux phénomènes se confondent, et l’instinct doit être regardé comme une action réflexe compliquée.

Intelligence, instinct, action réflexe, tels sont donc les trois termes de la psychologie. Entre ces trois formes de l’activité, il n’y a pas de barrière, il n’y a pas d’hiatus, il n’y a pas d’abîme. La gradation est régulière, sans fissure, sans lacune. Et pourquoi y en aurait-il ? Où a-t-on vu dans la nature ces transitions brusques, que déjà niait Aristote ?

Les soudaines apparitions d’un phénomène nouveau n’existent nulle part. Entre l’homme et l’animal, il n’y a guère de limite. Il n’y a guère de limite entre l’animal et la plante, et les origines de la psychologie sont dans les origines mêmes de la vie. Ce serait une ingrate besogne que de vouloir limiter la psychologie aux phénomènes de l’instinct ou de l’intelligence. Elle commence à l’action réflexe, de sorte que le domaine de la psychologie s’étend de l’acte réflexe élémentaire, le mouvement de retrait de la patelle qui se colle contre le rocher, jusqu’à l’opération intellectuelle la plus compliquée, la discussion des fonctions abéliennes, par exemple.

On verra dans la suite de ce travail par quels progrès successifs le fait psychique se dégage peu à peu du phénomène réflexe élémentaire. Notre but a été de prendre ce phénomène psychique à son origine même, si humble qu’elle soit, et de le suivre dans son progrès à travers la série ininterrompue des êtres vivants.