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lentement un sentiment de sympathie pour nos semblables, et l’on commence à considérer comme semblables d’abord ceux qui font partie de la même tribu, puis les habitants d’un même pays, enfin tous les hommes d’une race quelconque.

C’est ainsi que le sentiment de l’amour ou de la bienveillance pour nos semblables a commencé à paraître comme un sentiment égo-altruiste : sous la forme d’amour pour nos propres enfants, qui sont presque une partie de nous-mêmes. Il s’étend ensuite aux autres membres de notre famille, mais il ne devient réellement altruiste que lorsqu’il n’est plus déterminé par les liens du sang. Ce qui le détermine alors, c’est la ressemblance physique ou morale des individus d’une même caste, d’une même nation, ou d’une même race, parce que nous ne pouvons concevoir de sympathie pour des individus totalement différents de nous, et dont nous ne connaissons pas la manière de sentir. C’est à cause de cela, comme l’a très bien remarqué Darwin, que la différence de race et partant d’aspect et d’usages est l’un des plus grands obstacles à l’universalité du sentiment de bienveillance. Ce n’est que très lentement qu’on peut en venir à considérer comme ses semblables les hommes de n’importe quel pays et quelle race. Enfin, la sympathie pour les animaux est une acquisition morale très retardataire et qui, de notre temps encore, n’existe que chez les hommes les plus délicats.

Mais il nous faut analyser un peu plus profondément cet instinct de bienveillance pour en distinguer les différents degrés et en découvrir la partie vraiment nécessaire à la moralité, et qui est en quelque sorte universelle.

Nous trouverons d’abord un petit nombre de personnes qui ne s’occupent que du bien-être des autres, et qui emploient toute leur vie à l’amélioration matérielle et morale de l’humanité pauvre et souffrante, de l’enfance ou de la vieillesse abandonnées, et cela sans aucune arrière-pensée de récompense ou d’ambition ; qui, au contraire, désirent que leurs noms restent cachés ; ou qui se privent non seulement du superflu, mais même de quelque chose dont la privation les fait souffrir. Ce sont les philanthropes dans la vraie et pure acception du mot. Vient ensuite un assez grand nombre de personnes qui, sans en faire le but de leur vie, s’empressent de rendre un service toutes les fois qu’elles en ont l’occasion ; ces occasions elles ne les recherchent pas, mais elles ne les fuient pas non plus ; elles sont enchantées dès qu’elles peuvent faire quelque chose pour les autres ; ce sont les hommes bienfaisants ou généreux. La masse est composée de personnes qui, sans faire aucun effort, ni s’imposer aucun sacrifice pour augmenter le bonheur et diminuer les malheurs des