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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/23

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GAROFALO.le délit naturel

autres, ne veulent pourtant pas être la cause d’une souffrance ; elles sauront réprimer tous les actes volontaires qui produisent une douleur à leurs semblables. C’est le sentiment de la pitié ou de l’humanité, c’est-à-dire la répugnance à la cruauté, et la résistance aux impulsions qui seraient la cause d’une souffrance pour nos semblables. L’origine n’en est pas absolument altruiste. Comme le dit M. Spencer, de même que l’action généreuse est provoquée par le plaisir que nous ressentons en nous représentant le plaisir des autres, de même la pitié dérive de la représentation de la douleur d’autrui, que nous ressentons comme une douleur individuelle. À l’origine, c’est donc. de l’égoïsme, mais cela est devenu un instinct qui ne raisonne pas et dont nos semblables sont le but direct. C’est dans ce sens qu’on peut appeler altruiste un sentiment qui dérive de la sympathie pour la douleur, et partant de la crainte d’éprouver une émotion douloureuse à la vue de la douleur que nous aurons causée.

« La sympathie pour la douleur produit dans la conduite des modifications de plusieurs genres. En premier lieu, elle réprime les actes par lesquels on inflige intentionnellement la souffrance. Cet effet s’observe à plusieurs degrés. En supposant qu’aucune animosité ne soit ressentie, le mouvement par lequel on heurte un autre homme, suscite un sentiment spontané de regret chez presque tous les hommes adultes, excepté chez les gens tout à fait brutaux ; la représentation de la douleur physique ainsi produite est suffisamment vive chez presque toutes les personnes civilisées pour éviter avec soin de la produire. Là où il existe un plus haut degré de puissance représentative, il y a une répugnance marquée à infliger une douleur même non physique. L’état d’esprit pénible qui serait excité dans un autre homme par un mot dur ou un acte blessant est imaginé avec une telle clarté que cette image suffit partiellement ou entièrement à nous en détourner[1]. »

« …Dans d’autres classes de cas, la pitié modifie la conduite en déterminant des efforts pour le soulagement d’une douleur existante : la douleur résultant d’une maladie, ou d’un accident, ou de la cruauté d’ennemis, ou même de la colère de la personne même dans le cœur de laquelle naît la pitié… Si son imagination est vive et s’il voit outre cela que la souffrance dont il est le témoin peut être adoucie par son aide, alors il ne peut échapper à la conscience désagréable en s’éloignant, puisque l’image de la douleur continue à le poursuivre, le sollicitant à revenir sur ses pas pour lui prêter secours[2]. »

  1. Spencer, Principes de psychologie, t.  II, corollaires, ch.  viii. Paris, 1875.
  2. Ibidem.