représentative générale n’est pas suffisante pour apprécier cette douleur. C’est pourquoi les mots durs et autres espèces de grossièretés sont si fréquents dans le bas peuple, et que les saillies parfois sanglantes lancées par les personnes spirituelles ne le sont pas moins dans la bonne société ? On ne pense pas jusqu’à quel point quelques âmes délicates peuvent en souffrir ; le sens moral commun n’en est pas blessé.
Nous ne parlons pas de ces sortes de douleurs morales, qui peuvent causer des maladies et même la mort. L’effet en est trop variable selon les natures, l’intention de celui qui en est la cause est trop incertaine, pour que le sens moral puisse s’en révolter, ou s’il s’en révolte il ne peut que déplorer le fait, faute de savoir l’attribuer avec sûreté à un acte déterminé. C’est pourquoi l’homicide moral dont parlent certains auteurs, n’a pas d’intérêt pratique pour la criminologie. Il ne saurait y avoir une place marquée, il n’y représente qu’une utopie.
Mais le cas est bien différent lorsque la douleur morale est compliquée de quelque chose de physique, comme l’obstacle à la liberté des mouvements, la violence par laquelle on déshonore une jeune fille ; ou encore, lorsque la douleur morale est compliquée d’une lésion de la position que l’individu occupe dans la société. C’est le cas de la diffamation, de la calomnie, de l’excitation à la prostitution, de la séduction d’une jeune fille avant l’âge du discernement. Ces actes peuvent produire des malheurs irréparables, ils peuvent refouler la victime dans les classes abjectes, qui sont le rebut de la société. C’est donc par la prévision de ces effets que le sentiment universel de la pitié s’en indigne ; c’est par là qu’ils deviennent criminels.
De tout ce que nous avons dit dans ce paragraphe, il résulte que nous croyons avoir trouvé jusqu’à présent un sentiment altruiste, qui, dans la phase rudimentaire de son développement, est universel, du moins pour les races supérieures de l’humanité, et pour tous les peuples sortis de la vie sauvage : le sentiment de la pitié sous sa forme négative.
Ce serait donc un sentiment fixe, immuable pour l’humanité parvenue à un certain développement, un sentiment universel, si l’on en excepte quelques tribus éparses et qui, vis-à-vis de l’espèce humaine, ne représentent qu’une insignifiante minorité, ou, si l’on veut, des anomalies, des phénomènes.
Cela n’est nullement en contradiction avec la théorie de l’évolution. Spencer nous l’a dit lui-même, quoiqu’il ne se soit pas occupé de la théorie du crime : « Conclure que des sentiments fixes ne peuvent