Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
revue philosophique

même chez les enfants ou les personnes du bas peuple, il est rare que les mêmes personnes agissent en conformité de cette idée lorsque leur intérêt personnel est en jeu. L’enfant et le sauvage savent très bien distinguer ce qui leur appartient de ce qui ne leur appartient pas ; ils ne font néanmoins que tâcher de s’emparer de n’importe quels objets placés à leur portée. Ce qui prouve que c’est le sentiment, non l’idée de la justice qui leur manque. Quant aux personnes adultes d’une nation civilisée, elles possèdent généralement par l’hérédité et les traditions un certain instinct qui leur empêche de s’emparer par tromperie ou par violence de ce qui ne leur appartient pas. C’est un sentiment altruiste correspondant à ce sentiment égoïste de la propriété qu’un philosophe italien[1] a très bien défini « une forme secondaire de celui de la conservation individuelle ».

Nous ne trouvons, pour désigner le sentiment altruiste correspondant, que le mot de « probité », qui exprime le respect pour tout ce qui appartient à autrui.

Il est évident que le sens moral moyen d’une société ne peut contenir toutes les nuances du sentiment de justice. La délicatesse la plus exquise nous empêcherait d’accepter une simple louange que nous n’aurions pas la conscience d’avoir parfaitement méritée. Mais ce sont là les sentiments d’une minorité de gens choisis. Pour que le sens moral de la communauté soit violé, il faut que le sentiment qu’on blesse soit presque universel. Et nous ne rencontrerons ce caractère que dans cette probité élémentaire qui consiste, comme nous l’avons dit, à respecter la propriété des autres.

À ce point de vue, la simple morosité, lorsqu’elle est volontaire, c’est-à-dire que le débiteur aurait le moyen de payer sa dette, serait criminelle.

Cela blesse, en effet, le sens moral universel tout comme une escroquerie, ou une fraude quelconque. Il n’est pas improbable qu’on en viendra là ; peut-être même ira-t-on plus loin ; on considérera comme criminelles toutes ces sortes de tromperies que l’on découvre dans les procès civils, et auxquelles on donne le nom de simulations, lorsqu’elles ne sont que des moyens d’obtenir un avantage indu aux dépens des autres.

Mais il ne serait peut-être pas sans danger de s’engager dans cette voie. D’abord, lorsqu’il s’agit de procès civils, il est très difficile de découvrir la mauvaise foi cachée sous les subtilités légales ? Ensuite, s’il s’agit de droits immobiliers, la présence même de l’immeuble en question est faite pour rassurer les esprits dans la plupart des

  1. Sergi, Elementi di psicologia, p. 590-91. Messina, 1879.