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Voilà donc les grandeurs premières de la mécanique, vitesse, masse, force, ramenées à des définitions rigoureusement géométriques ; mais la mécanique, dite rationnelle, ne dépendait du monde physique que par les définitions matérielles de ces grandeurs : il résulte évidemment de là qu’en reconstruisant la mécanique, comme nous venons de le faire, nous en faisons une science purement géométrique qui resterait vraie quand bien même l’univers cesserait d’exister ou existerait autrement : cette sorte de géométrie du mouvement prévoit et explique les mouvements du monde physique, mais sans en dépendre aucunement : tel est le caractère de notre nouvelle méthode qui laisse à la fois de côté la physique et la métaphysique.

Nous ajouterons qu’à certains égards cette mécanique géométrique est plus vraie que la mécanique matérielle : c’est qu’en effet la première prend pour point de départ des définitions géométriques, et des définitions de ce genre ne se discutent pas ; la seconde, au contraire, part de lois expérimentales dont il est impossible de vérifier l’exactitude absolue : nous avons admis, par exemple, que notre univers réalisait la loi dynamique ; cela n’est démontré que dans la mesure de précision que nous donnent nos appareils et nos méthodes d’observation, et rien ne prouve qu’avec des instruments plus perfectionnés et avec des observations continuées pendant plusieurs siècles, on n’arrivera pas à introduire dans cette loi des termes de correction infiniment petits. En un mot, croire à la vérité absolue de ces lois astronomiques, dont la simplicité séduit notre esprit, c’est aller au delà de ce que nous donnent nos observations : il y a là une illusion dont la science doit se défier.

Nous ferons une dernière remarque : le sentiment de la durée mesurable, ainsi que nous l’avons montré, s’est formé chez l’homme à son insu, sans qu’il en ait eu conscience et en dehors de toute considération scientifique ; il s’est trouvé ainsi amené à mesurer la durée par l’angle de la rotation terrestre : or, par suite d’un remarquable théorème de mécanique géométrique, tous les corps célestes, placés dans les mêmes conditions que les planètes ou leurs satellites, tournent simultanément sur eux-mêmes d’angles proportionnels, et c’est dans ces mouvements de rotation qu’on trouve la mesure du temps qui, seule, pouvait nous fournir l’énoncé si simple de notre loi dynamique. Il y a donc eu là, pour la science, un hasard des plus heureux, car, sans cette façon de mesurer le temps, la loi dynamique se présentant sous une forme beaucoup plus complexe aurait échappé et avec elle la loi de l’attraction universelle qui s’y rattache. En un mot, les belles découvertes de Képler et de Newton étaient impossibles avec une autre mesure du temps.

A. Calinon.