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IV

Nous pouvons conclure de tout ce qui a été dit dans le paragraphe précédent que l’élément d’immoralité nécessaire pour qu’un acte nuisible soit considéré comme criminel par l’opinion publique, c’est la lésion de cette partie du sens moral qui consiste dans les sentiments altruistes fondamentaux, c’est-à-dire la pitié et la probité. Il faut, de plus, que la violation soit, non pas à la partie supérieure et la plus délicate de ces sentiments, mais à la mesure moyenne dans laquelle ils sont possédés par une communauté, et qui est indispensable pour l’adaptation de l’individu à la société. C’est là ce que nous appellerons crime ou délit naturel. Ce n’est pas, je le veux bien, une vraie définition du délit, mais on ne pourra se refuser à y voir une détermination que je crois très importante. J’ai voulu démontrer par là qu’il ne suffit pas de dire, comme on l’a fait jusqu’à présent, que le délit est un acte en même temps nuisible et immoral. Il y a quelque chose de plus : une espèce déterminée d’immoralité. Nous pourrions citer des centaines de faits qui sont nuisibles et immoraux sans qu’on puisse se résoudre à les considérer comme criminels. C’est que l’élément d’immoralité qu’ils contiennent n’est ni la cruauté, ni l’improbité. Si l’on nous parle, par exemple, d’immoralité en général, on sera forcé de reconnaître que cet élément existe, en quelque sorte, dans toute désobéissance volontaire à la loi. Mais que de transgressions, que de délits, de crimes même selon la loi, ne nous empêchent pas de serrer la main de leurs auteurs !

Sans doute, nous sommes les premiers à reconnaître qu’une sanction pénale est nécessaire pour toute désobéissance à la loi, qu’elle blesse ou qu’elle ne blesse pas les sentiments altruistes. Mais alors, nous dira-t-on, quel est le but pratique de votre distinction ? Nous le montrerons plus tard ; pour le moment, il nous faut compléter notre analyse, en expliquant pourquoi nous avons exclu de notre cadre de la criminalité certaines violations de sentiments moraux d’un ordre différent.

Ce que nous avons dit de la pudeur justifie assez l’exclusion de tous les actes qui blessent uniquement ce sentiment. Ce qui rend criminels les attentats à la pudeur n’est pas la violation de la pudeur même ; c’est la violation de la liberté individuelle, du sentiment de pitié, même s’il n’y a pas eu de contrainte, mais une simple tromperie, à cause de la douleur morale, de la honte et des con-