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GAROFALO.le délit naturel

séquences fâcheuses que l’acte brutal fait subir à la victime. Mais qui est-ce qui s’inquiète de l’acte impudique en lui-même, lorsque la jeune fille a librement disposé de soi et qu’elle n’a pas à se plaindre d’avoir été trompée ? La même raison ne permet plus de classer parmi les crimes n’importe quelle sorte d’actes impudiques librement consentis, quoique les codes de quelques États menacent encore de la maison de force certaines dépravations du sens génésique. Quant à la pudeur publique, elle a sans doute le droit d’être respectée, mais la trop grande variabilité des usages empêche toute règle fixe en cette matière. On peut dire seulement qu’une société civilisée ne supporte pas le spectacle de la nudité complète, ni celui de la conjonction publique des sexes ; pourtant des spectacles de ce genre exciteraient l’hilarité ou le dégoût, plutôt que l’indignation, si ce n’est chez les pères et mères de famille. Mais ces derniers mêmes ne voudraient pas la mort des pécheurs ; ils ne crieraient pas au crime, mais à l’indécence ; parce qu’enfin il n’y a là qu’une modalité à changer, le lieu, pour que tout rentre dans l’ordre normal. Ce qui fait que, selon les temps, l’on a administré le fouet, les arrêts ou les amendes pour des histoires de ce genre, comme s’il s’agissait d’ivrognerie, mais pas plus que pour les ivrognes on n’a songé à invoquer les peines réservées aux crimes. La conscience publique ne peut voir un crime dans ce qui ne devient une inconvenance que par une circonstance extérieure : la publicité. Encore faut-il ajouter que cette inconvenance est plus ou moins grave, selon que l’endroit est plus ou moins écarté et le buisson plus ou moins épais. C’est pourquoi l’opinion publique ne trouve dans ces sortes de choses que des contraventions de police, quelle que soit la place qu’elles occupent dans le code.

Nous passons à un autre genre de sentiments qui ont eu jadis une importance immense : les sentiments de famille. On sait que la famille a été le noyau de la tribu et partant de la nation, et que le sens moral a commencé à y paraître sous la forme de l’amour pour ses enfants, qui n’est pas encore un vrai sentiment altruiste, mais un sentiment ego-altruiste. Les progrès de l’altruisme ont diminué de beaucoup l’importance du groupe de la famille, la morale en a franchi d’abord la limite, pour franchir ensuite celle de la tribu, de la caste et du peuple et ne connaître d’autres bornes que l’humanité.

Malgré tout, la famille a continué à exister, avec ses règles naturelles : l’obéissance, la fidélité, l’assistance mutuelle de ses membre. Mais la violation des sentiments de famille est-elle toujours un délit naturel ? Non, tant qu’il n’y a pas en même temps violation des sentiments altruistes élémentaires dont nous avons parlé tantôt.