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FONSEGRIVE.conséquences sociales du libre arbitre

trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits ? Donc si le droit dérive du respect dû à l’intelligence, ce respect même exige la défense de rien enseigner qui soit contraire à la vérité démontrée. Et qui peut édicter ces lois de défense ? Évidemment les savants seuls. Par suite donc les savants sont les législateurs naturels d’une société intellectualiste et leurs lois sont inflexibles comme la science.

Il est vrai que le domaine de la vérité démontrée est étroit et que les actes auxquels l’homme tient le plus sont encore en dehors de ce domaine. La science par suite ne peut exercer sur eux son inflexible législation. Les savants ici ne seraient plus les législateurs de plein droit et il serait possible dès lors, sans se mettre ouvertement en dehors de la raison, de demander au suffrage populaire de désigner les législateurs politiques. On pourrait de même permettre sans absurdité à tout citoyen d’exposer ses idées et le fruit de ses méditations. Chacun d’ailleurs serait libre d’adorer l’inconnaissable et même de le prier comme bon lui semblerait. La politique resterait encore livrée aux discussions des hommes et les différentes libertés chères à la société moderne pourraient être maintenues. Mais si l’on peut sans absurdité et sans inconvénient laisser tous les citoyens parler des choses douteuses, est-il raisonnable, est-il respectueux pour la raison de laisser l’ignorant légiférer à sa guise ? Car même dans les matières douteuses la science établit des degrés de probabilité ; or, l’ignorant a bien plus de chances de se tromper que le savant, et quelles conséquences désastreuses s’il se trompe, par exemple, sur une loi de finances ou sur une loi militaire ! La raison exige donc, non plus absolument et sous peine de déraison absolue, mais relativement et sous peine de manquer à la prudence, que le savant légifère même dans les matières simplement probables. La liberté ne pourrait être raisonnablement maintenue que dans le domaine du douteux et de l’incertain. Et elle ne le serait qu’à titre du pis-aller. Que les doctrines évolutionnistes sur l’hérédité viennent à être établies, que le nombre nuptial cher à Platon vienne à être découvert, qui osera soutenir encore le droit de l’homme à choisir la compagne de sa vie ? Ne faudra-t-il pas rétablir l’hérédité obligatoire des fonctions et des professions et revenir même à la séparation absolue des castes ? Ainsi à mesure que se resserre le cercle des questions douteuses, à proportion diminue le domaine propre de la liberté. L’idéal et le vrai droit se trouveraient hors de ce domaine dans la détermination inflexible des lois scientifiques. Ni le domicile, ni la famille, ni la conscience ne pourraient arrêter la main-mise de la loi sur toute parole et sur toute action. Il est vrai qu’alors les intelligences ne cesseraient pas d’être libres au sens où les déterministes