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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/380

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peut à son gré bien faire ou mal faire. Cela suffit-il pour lui donner droit au respect ?

La question qui se pose ici est la question même de l’origine du droit. Les choses, les forces, les êtres ont-ils des droits à exister par le fait même qu’ils sont, ou le droit doit-il être cherché dans une raison, une fin distincte de l’être ? Les déterministes adoptent la première solution et s’exposent ainsi à mériter qu’on leur dise : Si l’existence est la mesure du droit, tout ce qui est a droit à être dans la mesure où il est et, comme le degré de puissance exprime le degré d’être, la puissance ou la force est la mesure du droit. On a trop souvent développé avec éloquence les conséquences de cette doctrine pour que nous y insistions. Mais les partisans du libre arbitre sont précisément ceux qui s’élèvent avec le plus de force contre cette théorie. Ils ne doivent donc pas en admettre le principe ; ils ne doivent pas dire : les choses sont respectables par le fait seul qu’elles existent ; la nature des choses est respectable en elle-même, donc la nature du libre arbitre, son libre exercice, doivent être respectés. Aussi les partisans du libre arbitre reconnaissent-ils que tous les actes libres ne sont pas bons, et ils les jugent d’après leur rapport avec le devoir. Ainsi ce qui rend le libre arbitre éminemment respectable c’est son rapport avec la réalisation du devoir.

Mais, selon Kant, c’est ce rapport même qui fait de la volonté humaine une chose absolument respectable, parce que, sans elle, le devoir ne serait pas posé, car le devoir n’est autre chose que la volonté se prenant elle-même pour fin. Ainsi le devoir n’est pas quelque chose d’extérieur, mais quelque chose d’intérieur à la volonté et se confond avec elle. Mais en disant que la volonté posait elle-même le devoir pour se l’imposer ensuite, Kant n’a jamais voulu dire, on le sait, que tout acte de volonté d’un individu quelconque fût respectable ; outre qu’il n’admettait pas le libre arbitre, mais seulement un acte intemporel de liberté par lequel chaque individu posait son caractère une fois pour toutes, il croyait encore que ces actes de liberté intemporelle ne méritaient le respect que s’ils étaient conformes à la loi. Ce n’est pas en effet l’homme individuel (homo phenomenon, comme s’exprime Kant) qui pose la loi, mais l’homme essentiel (homo noumenon). C’est avec sa volonté sans doute que l’homme essentiel pose la loi, mais avec sa volonté bonne et raisonnable ; Kant ne manque presque jamais d’accoler ces deux épithètes au mot volonté. Or, qu’est-ce que cette humanité essentielle, cet homme nouménal, qui joue un si grand rôle dans le système moral de Kant ? Si l’on réfléchit qu’il est défini constamment par Kant « une volonté bonne et raisonnable qui pose des lois universelles, » on voit