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arbitre, nul n’a le droit de le contraindre extérieurement à faire le bien ou à éviter le mal. Le domaine du for intérieur et de la conscience individuelle est fermé à la loi civile. La loi n’a pas le droit d’exiger de moi des actes purement moraux ; elle n’a pas le droit de me défendre des actes individuels immoraux. Pourquoi cela ? Parce que les pénalités immédiates qu’elle édicte pourraient violenter et contraindre mon libre arbitre, diminuer par là ma valeur morale. On a le droit d’instruire et d’éclairer l’arbitre humain faible ou obscurci, de le fortifier et de le munir pour les luttes futures. On a le droit d’introduire dans l’enfant et dans l’homme corrompu, par une pédagogie savante, par l’hygiène et la médecine, même par l’hypnotisme, si on le peut, des tendances morales qui contrebalanceront les tendances fâcheuses dues à l’hérédité ou à l’habitude. Ce n’est pas là enlever à l’arbitre son libre pouvoir, c’est au contraire le mettre en possession de sa liberté. Tel est le sens du dogme chrétien de la grâce. Mais ce qui n’est pas permis, c’est de diminuer la liberté de l’arbitre, quand elle est supposée entière, en lui imposant des espérances ou des craintes autres que celles qui résultent de l’éternelle nature des choses. Les moyens dont nous parlons sont une médication et non une législation. La loi s’adresse aux individus adultes et sains et non aux enfants, aux infirmes et aux malades. La loi civile s’arrête au seuil de la conscience individuelle et n’a aucun droit sur elle. J’ai donc le droit de penser, de prier, d’agir chez moi comme je l’entends. Mon domicile est sacré. La porte qui ferme ma maison est la porte même de ma conscience, et le gendarme de la loi n’a pas le droit d’en franchir le seuil.

Mais, d’autre part, la société existe, c’est-à-dire une association naturelle d’intérêts matériels et moraux hors de laquelle nul ne peut vivre. La société a donc le droit d’exister, puisque l’homme ne peut vivre en dehors d’elle et qu’il ne peut dès lors exercer son libre arbitre, réaliser le devoir, accomplir sa fin qu’avec elle et par elle. Le droit même du libre arbitre au respect est le fondement du droit social. La société n’a pas le droit d’exister par cela seul qu’elle existe ; c’est là une théorie déterministe. Les seules existences de droit sont les existences qui favorisent l’existence de l’ordre moral. Mais la société permet au libre arbitre de réaliser l’ordre moral ; elle a par suite le droit d’exister et, s’il vient à y avoir conflit entre les fins sociales et un libre arbitre individuel, c’est le droit social qui doit l’emporter, puisqu’il sauvegarde les droits de tous et que, toutes choses égales d’ailleurs tous valent plus qu’un seul. La société a donc d’abord des devoirs qui résultent de sa fin ; elle doit veiller sur la sécurité, sur la liberté, sur la propriété des citoyens, parce que