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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

La représentation est donc une affection de l’être vivant qui nous fait connaître elle-même et autre chose : lorsque nous voyons quelque objet, notre œil est affecté d’une certaine façon et se trouve disposé autrement qu’il ne l’était avant de voir. Mais, par ce changement[1], nous saisissons deux choses : l’altération, c’est-à-dire la représentation, et la cause du changement, c’est-à-dire l’objet visible. De même que la lumière se montre en même temps qu’elle montre les objets qui sont en elle, la représentation, qui est dans l’animal le principe de la connaissance, doit se faire connaître, et faire connaître en même temps l’objet évident qui la produit[2]. Mais il arrive souvent qu’à la façon des messagers infidèles, elle nous révèle un objet différent de celui d’où elle vient. Il est donc impossible de considérer toute représentation, quelle qu’elle soit, comme la marque de la vérité ; mais celle-là seule qui est vraie peut servir de critérium. Si donc il y a de fausses représentations[3], et si la représentation vraie peut seule être prise pour critérium, il est de toute nécessité, pour saisir la vérité, de distinguer les représentations vraies des représentations fausses[4]. Les Stoïciens étaient d’accord en cela avec Carnéade ; mais Carnéade se séparait de ses adversaires, en soutenant qu’il y a des représentations fausses qu’on ne peut distinguer d’avec les représentations vraies. Pour le prouver, il reprenait les exemples cités par Arcésilas, ceux qu’y avait ajoutés Chrysippe, et montrait ensuite que les explications données par ce dernier n’étaient nullement satisfaisantes. Peut-être même ajoutait-il quelques exemples nouveaux à ceux qu’Arcésilas et Chrysippe avaient tirés des représentations de la folie, de l’ivresse et du sommeil[5]. Pas plus qu’Arcésilas, il ne bornait sa critique aux représentations sensibles ;

  1. Il convient de remarquer que Carnéade prend la définition de Chrysippe, qui avait remplacé, peut-être pour répondre aux critiques d’Arcésilas, le mot de τυπώσις par celui d’ἀλλοίωσις. Il met ici comme partout la critique de ses prédécesseurs en rapport avec la doctrine en partie renouvelée des Stoïciens. De là son succès.
  2. Cette comparaison célèbre, si souvent reproduite par les dogmatiques de toutes les écoles (Plotin, Descartes, Malebranche, etc.), se trouve également chez Cicéron. Cf. Dictionnaire philosophique, art.  Évidence.
  3. C’est ce que contestaient les Épicuriens.
  4. Cicéron (Acad., II, II, 40 ; 26, 83) ramène à quatre points la démonstration des Académiciens : « 1o esse aliquod visum falsum ; 2o non posse id percipi ; 3o inter que visa nihil intersit, fieri non posse, ut eorum alia percepi possint, alia non possint ; 4o nullum esse visum verum a sensu profectum, cui non appositum sit visum aliud, quod ab eo nihil intersit, quodque percipi non possit. » Et il indique que toute la discussion porte sur le quatrième point.
  5. C’est ce que semble indiquer l’exposition de Cicéron. Il faut y ajouter les autres exemples que nous avons cités à propos d’Arcésilas : les œufs, les jumeaux, etc. (cf. supra), que Zeller rapporte à Carnéade. Nous avons donné les raisons qui nous out engagé à en restituer au moins l’idée première à Arcésilas.