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il l’étendait aux idées générales dérivées de l’expérience et aux concepts rationnels. Il allait, selon Galien, jusqu’à nier l’évidence des axiomes mathématiques, et combattait la proposition admise comme évidente par les mathématiciens, deux grandeurs égales à une troisième sont égales entre elles[1].

D’une manière générale, la raison ne peut être le critérium de la vérité, car la raison est déduite à juste titre de la représentation.

Carnéade ne bornait pas à la théorie de la connaissance sa critique de la logique stoïcienne ; mais, du point de vue du critérium, il la combattait tout entière. La dialectique stoïcienne[2], déjà condamnée par Arcésilas, fut attaquée par Carnéade. Les Stoïciens, à partir de Chrysippe, accordaient une telle confiance à la dialectique qu’ils la considéraient comme ayant été inventée pour être le juge et l’arbitre du vrai et du faux[3] ; ils y donnèrent tant de soin qu’ils méritèrent, comme autrefois les Mégariques, d’être appelés les Dialecticiens[4]. Carnéade leur objectait d’abord, selon Cicéron, qu’elle ne pouvait juger ni en géométrie, ni en littérature, ni en musique, ni dans la philosophie tout entière ; elle décidera, disait-il à ses adversaires, de la vérité des conjonctives et des disjonctives, de la clarté ou de l’ambiguïté, de la justesse des conséquences. C’est bien peu en comparaison de ce qu’elle promet.

Ce n’est pas tout. Après quelques règles sur les termes et l’argumentation, elle vient au sorite que les Stoïciens appellent une interrogation vicieuse. Et ce n’est pas seulement à propos d’un monceau de blé, mais à propos de toute autre chose : riche ou pauvre, clair ou obscur, peu ou beaucoup, grand ou petit, long ou court, large ou étroit, que s’établissent des oppositions entre lesquelles il est impossible d’établir des limites fixes. Chrysippe essayait bien d’échapper à la difficulté en recommandant de se reposer avant d’arriver à beaucoup ; mais Carnéade répondait avec esprit qu’il lui était même permis de dormir, mais qu’il n’aurait pas pour cela répondu à l’objection ; car la même interrogation se reproduirait à son réveil, sans qu’il puisse y trouver de réponse. Vous suspendrez vos réponses, ajoutait-il (equos sustinebo, ut agitator callidus) ; mais pourquoi nous

  1. Galien, de Optim. doctr., ch.  2. — Cf. Zeller, III, i, 502, n. 3. — Cf. ce que dit Cicéron, Acad., II, 36, 116, des géomètres.
  2. Les Stoïciens divisaient la logique en deux parties : la dialectique et la rhétorique ; quelques-uns d’entre eux y ajoutaient la définition (τὸ ὁρικὸν εἶδος) et la théorie de la connaissance (τὸ περὶ κανόνων καὶ κριτηρίων). Diogène, VII. 44. Il convient de remarquer l’union étroite de la dialectique et de la théorie de la connaissance.
  3. Acad. pr., II, 29, 91.
  4. Sextus.