rait considérer comme rendue évidente la proposition ainsi acceptée.
En outre, si la démonstration générale prouvait la démonstration générale, elle serait à la fois claire et obscure ; claire, en tant qu’elle prouverait, obscure en tant qu’elle serait prouvée, ce qui est absurde. De plus, elle doit avoir des prémisses et une conclusion déterminée, sous peine de ne rien prouver ; mais, dans ce cas, elle est elle-même particulière et tombe sous l’objection que nous avons faite aux démonstrations de cette espèce. Enfin, toute démonstration est sujette à une objection et a besoin d’être confirmée par une autre démonstration ; celle-ci par une seconde et ainsi de suite à l’infini : chacun des termes de la série n’a qu’une valeur hypothétique et ne nous conduit à aucun résultat[1].
Il semble que Carnéade devait pousser plus loin encore la critique de la logique formelle des Stoïciens. On sait que Chrysippe, à la suite de Théophraste, plaçait en tête de sa théorie du syllogisme 5 syllogismes indémontrables dont nous trouvons la réfutation chez Sextus[2]. On serait presque autorisé à croire que l’argumentation attribuée par Sextus à Enésidème dans un des deux passages où il la rapporte[3], a été employée pour la première fois, sous une forme moins complète peut-être, par le fondateur de la Nouvelle Académie[4].
Diogène nous apprend que Carnéade avait négligé la physique pour s’occuper surtout de morale ; il s’agit sans doute de ce que Car-
- ↑ Sextus, VIII, 337-347. Carnéade n’y est pas nommé, mais y est clairement désigné par le paragraphe suivant, dans lequel Sextus rapporte la réponse faite à ces objections par l’Épicurien Démétrius Lacon, qui vivait à la fin du 2e siècle avant J.-C. (cf. Zeller, III, i, 504). Il convient de se rappeler, au sujet de cette argumentation, la question posée par Timon dans son livre contre les physiciens faut-il partir de quelque hypothèse ? En outre, on peut y voir le germe de la critique faite plus tard par Enésidème de la théorie stoïcienne du signe et de celle que les sceptiques out dirigée contre la démonstration. Enfin, on peut en rapprocher les passages célèbres de Montaigne et de Pascal. « Pour juger des apparences que nous recevons des subjectifs, il nous fauldroit un instrumen judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous y faut de la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un instrument ; nous voilà au rouet. » (Essais, II, xii.). Le véritable ordre consiste à tout définir et à tout prouver. Cette méthode est absolument impossible ; car il est évident que les premières propositions qu’on voudrait prouver en supposeraient d’autres qui les précédassent, et ainsi il est clair qu’on n’arriverait jamais aux premières, d’où il parait que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli. » (De l’esprit géométrique.)
- ↑ Hyp. pyrrh., II, 158 ; Math., VIII, 226. — Cf. Zeller, III, i, 110.
- ↑ Math., VIII, 226.
- ↑ On peut le conjecturer d’après ce que dit Cicéron en parlant des mathématiciens ; si on ne leur accorde pas leurs principes (initia), ils ne peuvent rien faire (quibus non concessis, digitum progredi non possunt), d’autant plus que Cicéron considère les mathématiques comme comportant une certitude plus grande que la philosophie, et que Carnéade, qu’il a suivi, ne devait pas avoir ménagé les logiciens plus que les géomètres.