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GAROFALO.le délit naturel

Il n’y a là, peut-être, qu’une question de mots, quelques efforts que fasse M. Franck pour démontrer qu’il s’agit d’une différence substantielle. Il critique la définition de Rossi, en apportant des exemples de devoirs même envers la société et dont la violation, quoique nuisible, ne pourrait mériter la poursuite ou la répression de la justice.

Tel est le devoir « de consacrer à notre pays tout ce que nous avons de force et d’intelligence », telles sont les vertus que notre conscience nous commande à l’égard des individus, par exemple, les œuvres de charité, le pardon des injures. Mais il faut remarquer que M. Franck a oublié la dernière partie de la formule de Rossi, qui n’a pas seulement parlé d’une violation de devoirs, mais y a ajouté la condition que ces devoirs soient exigibles en soi. Or, dans les exemples de M. Franck, il ne s’agit pas de devoirs exigibles par la force ; de sorte que les deux définitions ont précisément la même portée. Il n’en saurait être différemment, puisque les mots « droit » et « devoir » sont corrélatifs, et qu’il n’existe pas de droit, s’il n’existe en même temps le devoir de le respecter. La nouvelle définition de M. Franck n’est pas d’ailleurs moins vague que les précédentes. Il a beau ajouter des conditions, faire des restrictions ; dire, par exemple, que les seuls droits dont la violation constitue un délit, sont ceux qui sont susceptibles d’une détermination précise ou exigibles par la force, parce qu’ils sont absolument nécessaires à l’accomplissement des devoirs auxquels ils correspondent ; aller même plus loin et remarquer que la violation d’un de ces droits circonscrits ne suffit pas toujours, ne suffit pas seule pour constituer un délit, et qu’il faut encore que la sanction pénale soit possible, qu’elle soit efficace, qu’elle ne soit pas elle-même un mal moral aussi grand que le délit, qu’elle ne soit pas de nature à blesser les mœurs. Ainsi, une femme qui refuserait à son mari l’accomplissement des fins du mariage, échapperait à toutes les mesures de rigueur qu’on pourrait imaginer, ces rigueurs étant plus à craindre que le délit lui-même, parce que la constatation seule de ce délit n’est pas possible sans les plus graves inconvénients.

Et pourtant, malgré tant de soins apportés pour cette définition, elle laisse toujours passer quelque chose de trop : un débiteur, par exemple, qui refuse de payer ce qu’il doit, viole un droit bien déterminé et exigible par la force ; mais, si le débiteur est insolvable, est-il un délinquant ? il ne l’est pas… hélas ! selon les lois présentes même si l’insolvabilité est volontaire ou simulée ! On a le droit d’avoir chez soi ses enfants ; s’ils quittent le toit paternel, on peut les y faire reconduire de force, et pourtant, il n’y a pas de délit.