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D’ailleurs, toute contravention à une loi, à un ordre non immoral de l’Autorité, serait un délit social pourvu que le pouvoir dont est émané l’ordre soit légitime, c’est-à-dire qu’il aurait le droit de faire ce qu’il a fait. On en revient toujours là ; c’est un cercle vicieux ; pendant qu’on recherche ce que la loi doit considérer comme délit, on finit par nous dire que c’est ce que la loi défend.

La conception du délit retombe dans le vague ; elle y retombera toujours jusqu’à ce qu’on ait déterminé le genre particulier d’immoralité, qui est l’élément nécessaire de ce que l’opinion publique considère comme un délit.

Qu’on ne nous dise pas que par une analyse de ce genre on retrancherait du code un grand nombre d’actions qui sont punissables et doivent l’être pour la sécurité sociale. Il ne s’agit pas de voir maintenant s’il y aurait lieu de former deux codes de nature différente, l’un pour la criminalité naturelle, l’autre pour toutes les désobéissances aux lois qu’un État croit devoir réprimer sévèrement. Nous avons déjà dit, et nous le répétons, que nous ne cherchons pas les caractères des faits punissables, mais des actions considérées universellement comme criminelles, c’est-à-dire lésives du sens moral moyen de toutes es populations non sauvages.

Nous avons tâché d’isoler le délit naturel, afin de pouvoir en faire une étude scientifique, ce qui serait impossible si l’on prenait toutes les actions punissables que l’on trouve pêle-mêle dans les codes. Voilà pourquoi la conception juridique du délit ne saurait nous servir, du moment qu’elle ne distingue pas, à ce point de vue, les différentes transgressions à la loi.

Pour parvenir à notre but, nous avons commencé par éliminer tous les sentiments qui ne sont pas altruistes ; nous avons réduit ces derniers à deux types, et nous en avons enfin dégagé la partie constituant la mesure moyenne dans laquelle l’humanité les possède, en renonçant ainsi à leur partie supérieure et plus délicate qui est l’apanage du petit nombre. En un mot, ce n’est pas sur la violation des droits, c’est sur celle des sentiments que nous pouvons baser notre conception du crime ou délit naturel. Voilà en quoi notre principe est totalement différent de celui des juristes. Nous n’avons pas du reste à nous défendre de vouloir par là étendre le domaine de la criminalité à des actions qui ne révèlent que de mauvais sentiments, et qui n’ont jamais été et ne seront jamais punissables, puisque nous avons ajouté que ces actions violatrices du sens moral élémentaire, soient en même temps nuisibles à la communauté. Enfin, la détermination que nous avons faite de la mesure moyenne des sentiments altruistes empêchera de nous reprocher de placer parmi les délits des actions qui,