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mait elle-même du nom d’Adrienne, tandis que L… encore maintenant ne sait pas du tout ce que désigne ce nom et même ne l’entend jamais quand c’est moi qui le prononce. En outre, cette personne avait un souvenir absolument complet de toutes les suggestions précédentes, des somnambulismes naturels ou artificiels et même des anciennes crises d’hystérie, ce qui n’existe pas chez L… Enfin elle avait une sensibilité tactile absolument complète comme je l’avais constaté précédemment pour Adrienne. Et pour continuer cette sorte de fiction qui nous a servi jusqu’à présent à classer les phénomènes, il fallait bien donner à cette personne le nom d’Adrienne. Quant à L… elle avait absolument disparu,’il était impossible d’obtenir d’elle aucune manifestation. Ce somnambulisme nouveau caractérisé par l’absence du dédoublement ordinaire prit d’ailleurs une allure particulière que je n’ai encore vue que chez une autre grande somnambule, Mme B., dont j’ai souvent parlé : il devint alternatif. Après vingt minutes d’excitation, le sujet se rendormit de lui-même, dormit un quart d’heure, puis se réveilla dans le même état que précédemment. Il fut d’ailleurs beaucoup plus difficile de réveiller le sujet, et la suggestion ne put suffire comine autrefois, il fallut agiter les mains devant la figure et faire du vent pendant assez longtemps. Je ne puis étudier entièrement ce nouveau somnambulisme que je n’ai observé qu’une fois, mais je ne puis éviter de signaler un fait important. Il était impossible de faire une suggestion quelconque. La personne vive, intelligente beaucoup plus que L… à l’état normal, était surtout plus complète, elle avait un sens de plus et le souvenir de toute son existence. Elle était en même temps plus libre et se riait de mes ordres. Voilà un fait qui montre bien l’importance de la dissociation et du dédoublement pour la suggestion, lorsque la personne, je ne sais pourquoi, a reconquis la possession complète de toutes ses idées, elle n’est plus suggestible[1].

L’observation précédente nous montre que les rapports entre les deux groupes de phénomènes, entre Adrienne et L…, sont loin d’être toujours les mêmes, et il y aurait à ce propos une sorte de tableau comparatif à établir. 1o On pourrait admettre chez cette personne un premier état qui serait l’état de santé ou de veille normale. (Je ne puis guère observer cet état, car il disparaît presque toujours dès non arrivée.) À ce moment, L… existe entièrement avec toutes ses facultés presque complètes. L’ouïe est fine, la vue très peu altérée[2],

  1. J’ai déjà remarqué un fait du même genre chez Mme B. Le somnambulisme le plus complet n’est pas le meilleur moment pour faire des suggestions.
  2. Le champ visuel est toujours assez fortement restreint, ainsi que le montre une observation que M. le Dr Brunschvig, chirurgien oculiste de l’hôpital, a bien voulu faire pour moi.