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A. BINET.intensité des images mentales

toutes les fois que notre sujet voudra nous tromper. Pendant le somnambulisme, nous l’avons prise en flagrant délit deux ou trois fois. Nous voulions savoir si elle se rappelait tel événement de sa vie passée ; elle parut chercher et déclara catégoriquement que non. Puis elle ajouta machinalement : « Ah ! sapristi ! » Pour s’assurer que l’appareil avertisseur continue à fonctionner, il suffit de donner de temps en temps une suggestion de mensonge. Par exemple, nous ordonnons à la somnambule de nous affirmer au réveil qu’elle a déjà dîné, ce qui est faux. Au réveil, nous lui disons : « Avez-vous faim ? — Non, j’ai déjeuné, je vous assure que j’ai déjeuné. Ah ! sapristi ! »

10. — En terminant, nous voulons dire un mot sur la valeur des expériences négatives. Les nombreuses discussions qui s’élèvent chaque jour entre les personnes qui s’occupent d’hypnotisme peuvent se ramener à la formule suivante. M. A., ne réussissant pas à reproduire le phénomène observé par M. B., déclare que M. B. s’est trompé. La question est de savoir si, en fait d’hypnotisme, les expériences négatives sont contradictoires.

Les règles de l’expérience négative ont été très exactement fixées par Stuart-Mill dans le chapitre de la Logique où il parle de la méthode de différence ; la méditation de ce chapitre aurait épargné bien des erreurs aux médecins et aux philosophes qui s’occupent d’hypnotisme.

Disons d’abord que les expériences négatives ne doivent être, en général, acceptées qu’avec circonspection. Souvent, on ne réussit pas parce qu’on ne sait pas s’y prendre, et une expérience négative est seulement une expérience ratée. Qu’on se reporte à mon expérience de suggestion donnée en somnambulisme et devant se réaliser en catalepsie ; le premier essai échoua ; si je m’en étais tenu là, aurais-je eu le droit de dire que l’on ne peut pas donner à une grande hypnotique une suggestion de ce genre ? Non, à coup sûr. J’aurais commis une erreur en généralisant une expérience qui n’était qu’un échec. L’expérience négative n’est sérieuse que lorsqu’elle a été prolongée longtemps, reprise, modifiée de cent façons, sur un grand nombre de sujets différents. Ajoutons aussi que ce qui peut donner de la valeur à l’expérience, c’est l’autorité de son auteur ; la réputation scientifique d’un homme permet souvent de juger à sa véritable valeur le fait qu’il dit avoir découvert ; on sait fort bien que pour certains savants, le monde visible n’existe pas ; Gautier disait à ce sujet quelques mots très justes : « Le sens artiste manque à une infinité de gens, même à des gens d’esprit. Beaucoup de gens ne voient pas. Par exemple, sur vingt-cinq personnes qui entrent ici, il n’y en a pas trois qui discernent la couleur du papier ! Tenez, voilà