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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

Grâce à cette division des représentations, les Académiciens peuvent, aussi bien que les dogmatiques, se guider dans la vie. Lorsqu’il s’agit d’une chose de peu d’importance, disait Carnéade, on se contente d’un seul témoignage ; mais, lorsque le sujet en vaut la peine, on en réclame plusieurs. De même dans la vie, lorsque nous nous trouvons en présence d’une action ordinaire à accomplir, nous pouvons user des représentations probables pour juger ; dans les actions qui nous intéressent un peu plus, il faut faire appel aux représentations non contredites ; enfin, dans ce qui concerne la vie heureuse, il ne convient de s’en rapporter qu’à celles qu’on a examinées dans leurs parties[1].

Mais il ne faut pas oublir que la représentation la plus probable, celle qui n’est contredite par aucune de celles qui l’accompagnent et qui a été examinée dans tous ses éléments, ne présente jamais les caractères de certitude que les Stoïciens attribuent à la représentation compréhensive[2] ; de sorte que le sage, persuadé que beaucoup de représentations fausses semblent probables (propterea quod multa falsa probabilia sint), pourra bien répondre affirmativement ou négativement (aut etiam aut non respondere possit) lorsqu’il sera interrogé, selon qu’il croira l’un ou l’autre plus probable ; mais il ne devra jamais penser qu’il a atteint la vérité ; la probabilité le guidera dans ses discours et dans ses actes, mais il n’oubliera pas que la probabilité n’est pas la vérité, et qu’approuver une représentation (probatio) n’est pas la percevoir (percipere)[3]. Comme le dogmatique, l’Académicien affirmera ou niera ; mais, au lieu de prétendre comme lui que ce qu’il affirme est l’expression exacte de la réalité, il croira que son affirmation est plus ou moins probable, sans que jamais il puisse affirmer qu’elle est vraie.

Nous avons insisté sur cette partie de la doctrine de Carnéade, parce qu’il suffit de la bien comprendre pour n’attacher aucune importance au reproche d’inconséquence que lui adressaient ses adversaires[4] ; et que, d’un autre côté, elle aide à se rendre compte

    ici de précision dans les exemples qu’il rapporte. — Alceste apparaît à Admète qui ne croit pas que ce soit elle, parce qu’il sait qu’elle est morte (2e degré) ; il examine ensuite les éléments de cette représentation qu’il trouve exacte, mais ne peut se persuader qu’il en soit ainsi, parce que cette représentation est contrariée par celle qui la lui fait voir aux enfers (3e degré).

  1. Sextus, Adv. Math., VII, 418.
  2. Acad. pr., II, 32, 103 : « Esse rerum ejusmodi dissimilitudines, ut alie probabiles videantur, aliæ contra : id autem non satis esse, cur alia posse percipi dicas, alia non posse. » — Cf. 48, 148.
  3. Acad. pr.. II, 32, 104, sqq.
  4. id., 18, 59, 21, 67, 24, 78. — Cf. Zeller, III, i, 516, nº 6.