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défendue par lui ; avec Zeller[1], nous croyons qu’il ne devait la considérer que comme probable, mais il nous est tout à fait impossible de déterminer quel degré de vraisemblance il lui attribuait. Il n’en est pas moins remarquable que le libre arbitre ait été défendu par Carnéade, comme par Protagoras, que l’on accuse cependant souvent l’un et l’autre de ruiner la morale à laquelle le libre arbitre sert de fondement.

Qu’était-ce que la vertu pour Carnéade ? c’est ce que nous ne pouvons que conjecturer encore. Zeller croit qu’elle consistait pour lui dans une activité ayant pour but la possession des premiers avantages naturels (die Tugend eben in der auf den Besitz des Naturgemässen gerichteten Thätigkeit bestehe) et était inséparable du souverain bien. Peut-être en est-il ainsi, mais on ne saurait l’affirmer, car les passages du de Finibus (V, 7, 18, sqq.) sur lesquels s’appuie Zeller peuvent provenir aussi bien d’Antiochus que de Carnéade ; il semble même qu’ils s’accordent plus avec les opinions d’Antiochus et des Stoïciens qu’avec celles de Carnéade[2].

Il ne semble pas que Carnéade ait appliqué à la logique et à la physique sa théorie de la vraisemblance. Cicéron dit bien, à la vérité, qu’il n’est pas d’avis de bannir l’étude des questions de physique ou d’astronomie, parce que la considération et la contemplation de la nature sont l’aliment le plus naturel de l’âme et du génie. Il ajoute que le sage Académicien et le sage Stoïcien s’accorderont à chercher la vérité dans ces sortes de matière, le second pour croire, affirmer et donner son assentiment, le premier pour ne rien affirmer témérairement ; il s’estimera très heureux s’il trouve sur ce sujet quelque chose de vraisemblable[3]. Mais rien ne nous autorise à attribuer cette manière de voir à Carnéade ; rien ne nous autorise surtout à croire qu’il l’ait mise en pratique.

Il faut en excepter cependant la croyance aux dieux que Carnéade devait trouver assez vraisemblable, puisque Cicéron nous apprend qu’il ne voulait pas supprimer les dieux, mais simplement établir que les Stoïciens ne donnaient à ce sujet aucune explication satisfaisante[4].

  1. III, i, 512, contrairement à Maccoll, 62.
  2. Surtout le passage cité par Zeller où Cicéron appelle les « prima secundum naturam » les prima in animis quasi virtutum igniculi et semina ». Ciceron indique lui-même, au commencement du §  16, qu’Antiochus usait de la division de Carnéade (qua noster Antiochus libenter uti solet), et la critique qu’il fait ensuite de Carnéade lui-même, semble venir d’Antiochus dont il aurait fondu ainsi la liste des catégories avec celle de Carnéade.
  3. Acad. pr., II, 41, 127, 128.
  4. Cic., N. D., III, 17, 44, ef. Zeller, 521, Marcoll, 65.