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aurions beaucoup à y reprendre. Par exemple, l’auteur donne une des raisons, du reste nullement neuves, qui font que les enfants reconnaissent et suivent des yeux les visages « et les personnes humaines beaucoup plus tôt que les autres objets ». C’est que « les visages et les personnes, en tant que gros objets mobiles, attirent l’intérêt plus que ne le fait tout autre objet ; par le genre de leurs mouvements, et en tant que source de sons parlés, ils se distinguent essentiellement des autres objets du champ visuel ». Il y a bien à ce fait d’autres raisons, affectives et esthétiques, que j’ai indiquées tant bien que mal dans mes Trois premières années de l’enfant[1]. M. Preyer aurait pu trouver, dans son propre recueil, quelque fait montrant que les associations sympathiques influent grandement sur la reconnaissance du visage et des personnes. Tel est le cas de cet enfant, observé par Wyma, qui avait coutume de remarquer l’absence de ses parents en « mauvaise part ; quand ils revenaient, il leur faisait visage indifférent ».

« Il est très malaisé, dit M. Preyer, de déterminer à quel moment se produit pour la première fois une association naturelle d’une représentation intellectuelle avec une idée nouvelle, qui survient des semaines ou des mois plus tard, sans que rien dans l’intervalle ait pu la rappeler. » Observation d’autant plus délicate, voudrais-je ajouter, que cette dernière condition est malaisée à vérifier. Nous ne suivons que de très loin, du dehors, l’évolution mentale de l’enfant, et la majeure partie de ses expériences forcément nous échappe. Je doute que l’exemple suivant, rapporté d’après Stichel, puisse jeter beaucoup de lumière sur ce point. « L’on raconta, en présence d’un petit garçon de dix mois, qu’un autre petit garçon qu’il connaissait, et qui se trouvait fort éloigné, à la campagne, était tombé et s’était fait mal au genou. Après quoi, l’on cessa de s’occuper de ce dernier. Quelques semaines après, celui qui était tombé arrive dans la chambre, et l’autre n’a rien de plus pressé que de courir vers lui, en criant : « Tombé, jambe, mal. » Un enfant qui, même à un an, pourrait s’exprimer de la sorte, serait vraiment doué d’une précocité extraordinaire.

Voici, en revanche, un exemple où, comme l’a bien vu M. Preyer, la notion de causalité joue un rôle bien problématique. « Quand l’enfant, après avoir longtemps pris un sein, s’apercevait qu’il n’en tirait qu’un filet insignifiant de lait, il posait la main sur celui-ci et le pressait fortement comme s’il eût voulu exprimer le lait à force de presser le sein. Il va de soi que, dans ce cas, il ne pouvait y avoir la

  1. Pages 87 et 88 de la 3e édition.