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III

L’analyse explique l’amour du mal, la synthèse peut-elle le justifier ? Ici le point de vue est tout autre. Nous avons tâché de comprendre ce sentiment, il faut maintenant le juger. Quelques auteurs le justifient et même l’exaltent. Je cite ici un passage des Essais de psychologie contemporaine de M. Bourget où l’étude de la décadence est très habilement faite, mais plus pénétrante, plus subtile et plus juste au point de vue de la psychologie que concluante au point de vue de la morale.

« Baudelaire est l’écrivain peut-être au nom duquel a été accolée le plus souvent l’épithète de « malsain ». Le mot est juste si l’on signifie par là que les passions du genre de celles que nous venons d’indiquer trouvent malaisément des circonstances adaptées à leurs exigences. Il y a désaccord entre l’homme et le milieu. Une crise morale en résulte et une torture de cœur. Mais le mot « malsain » est inexact si l’on entend par là opposer un état naturel et régulier de l’âme, qui serait la santé, à un état corrompu et artificiel, qui serait la maladie. Il n’y a pas à proprement parler de maladies du corps disent les médecins, il n’y a que des états physiologiques funestes ou bienfaisants, toujours normaux si l’on considère le corps humain comme l’appareil où se combine une certaine quantité de matières en évolution. Pareillement, il n’y a ni maladie, ni santé de l’âme, il n’y a que des états psychologiques au point de vue de l’observateur, sans métaphysique, car il n’aperçoit dans nos douleurs et dans nos facultés, dans nos vertus et dans nos vices, dans nos volitions et dans nos renoncements que des combinaisons changeantes, mais fatales et partant normales, soumises aux lois de l’association des idées. Un préjugé seul où réapparaissent la doctrine antique des causes finales et la croyance à un but défini de l’univers, peut vous faire considérer comme naturels et sains les amours de Daphnis et de Chloé dans le vallon et comme artificiels et malsains les amours d’un Baudelaire dans le boudoir qu’il décrit, etc. »

Le problème est nettement posé et nettement résolu ; il n’y a ni santé, ni maladie, ni bien, ni mal, rien que des états nécessaires, du corps et de l’esprit. L’opinion contraire est un préjugé usé. Et en effet, la psychologie spiritualiste a noyé quelques vérités dans un certain nombre de théories peu soutenables, et en rejetant les théories, on est porté à rejeter aussi certaines vérités qui ne leur sont nullement attachées, mais qui ont été présentées avec elles. Heureusement la