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réponse est bien facile et nous n’avons nullement besoin pour la trouver de nous servir de la métaphysique ou de faire appel aux préjugés. Il n’y a, dit M. Bourget, ni santé ni maladie, il n’y a que des états physiologiques funestes ou bienfaisants, mais c’est précisément ces états funestes que nous appelons maladie, et ces états bienfaisants que nous appelons santé. Les uns sont aussi nécessaires que les autres, d’accord, mais c’est là qu’est le préjugé de croire que le caractère nécessaire d’un fait lui enlève son caractère bon ou mauvais, — et le spiritualisme n’en est pas innocent. De même il y a des états psychologiques qui entraînent la ruine et la dissolution de l’esprit et de la société ; il y en a d’autres au contraire qui amènent la force de l’âme et la prospérité de la collectivité, nous appelons bons les derniers et mauvais les premiers, — par rapport à la société. Et c’est pour cela que nous pouvons très bien considérer comme sains les amours de Daphnis et de Chloé, comme malsains ceux de l’Hippolyte de Baudelaire ou du des Esseintes de M. Huysmans. Que l’un et l’autre soient le produit de forces fatales, cela importe peu, ou plutôt cela importe en ce que nous jugeons en partie ces faits bons ou mauvais à cause de leurs conséquences nécessaires. La doctrine de la nécessité absolue est la plus favorable à la distinction du bien et du mal.

Sur ce terrain, la question est bien facile, trop facile, car M. Bourget, quelques pages plus loin, expose bien les deux points de vue, le point de vue moral et l’autre. Si pour lui, dans une société en décadence, l’ensemble est moins près de la perfection, en revanche les individus en sont plus rapprochés. « Certes un chef germain du IIe siècle était plus capable d’envahir l’empire qu’un patricien de Rome n’était capable de le défendre ; mais le Romain, érudit et fin, curieux et désabusé, tel que nous connaissons l’empereur Hadrien, le césar amateur de Tibur, représentait un plus riche trésor d’acquisition humaine. Le grand argument contre les décadences, c’est qu’elles n’ont pas de lendemain, et que toujours une barbarie les écrase. Mais n’est-ce pas comme le lot fatal de l’exquis et du rare d’avoir tort devant la brutalité ? On est en droit d’avouer un tort de cette sorte et de préférer la défaite d’Athènes en décadence au triomphe du Macédonien violent. »

Ceci nous amène à rechercher la hiérarchie des biens et des maux nous y trouvons de quoi répondre à ceux qui nous accuseraient d’identifier le succès et le mérite. Un homme est condamné à mort, on le tue. La blessure ou le poison qui désorganise son corps est un mal pour lui, puisqu’elle détruit sa vie, d’un autre côté elle peut être un bien pour la société en ce qu’elle permet à la vie de la société d’être