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loppement. Chez lui, comme chez les animaux, la cellule nerveuse est organisée pour recevoir et garder plus ou moins longtemps des empreintes, d’où résulte l’aptitude au dressage, à la formation de penchants héréditaires, qui, une fois implantés, régissent la conduite de l’individu au milieu des conflits et aventures de l’existence. J’ai maintenant à exposer comment, obéissant à ces lois inéluctables, le genre humain a réglé sa morale depuis les âges primitifs jusqu’à nos jours. »

Voilà les principales théories sur lesquelles s’appuie l’auteur pour étudier l’évolution morale de l’homme. Dans les leçons suivantes, depuis la quatrième jusqu’à la dix-huitième, sont exposées les diverses phases de cette évolution. On comprend qu’il soit impossible dans un compte rendu de suivre l’auteur pas à pas à travers la multitude de faits qu’il a rassemblés pour illustrer sa conception. Je me bornerai donc à peu près à indiquer, en suivant l’auteur de très près et en le citant le plus possible, les caractères principaux qui marquent les différentes phases de l’évolution morale. Ces phases sont pour M. Letourneau au nombre de quatre : la morale bestiale, la morale sauvage, la morale barbare et la morale mercantile. — « La morale primitive du genre humain a été à peu près celle des chimpanzés. Elle a même été bien plus bestiale, car les chimpanzés et les gorilles ne se dévorent point entre eux, tandis que le cannibalisme est le péché originel de toutes les races humaines. Il disparaît bien lentement après des atténuations successives, et peut être pris comme caractéristique de la phase première de l’éthique, de la phase bestiale. »

Dans la seconde phase, la phase sauvage, le cannibalisme subsiste parfois encore, mais il prédomine moins ; « ce qui caractérise ce deuxième stade, c’est l’institution de l’esclavage, refrénant un peu la férocité absolument animale du stade précédent d’ailleurs la vie humaine est toujours peu respectée ; en outre, les lois confèrent au chef, au maître, à l’homme, au père, un droit de propriété à peu près absolu sur le sujet, l’esclave, la femme et les enfants. »

Dans la troisième période, les mœurs se codifient en lois traditionnelles ou écrites. Le vol, l’adultère, le meurtre sont punis comme crimes sociaux, niais la société repose encore sur l’esclavage. C’est à propos de cette phase de la morale, la morale barbare, que M. Letourneau étudie les anciennes civilisations du Mexique, du Pérou, de l’Égypte, de la Perse, de l’Inde, de la Chine, du peuple juif, de la Grèce et de Rome. « La caractéristique de la morale barbare étant l’esclavage ou sa forme atténuée, le servage, il nous faudra englober, sous le nom de période barbare, celle qui s’étend de la chute de l’empire romain aux temps n)odernes ; car les derniers vestiges du servage n’ont été abolis en France qu’à la Révolution ; ailleurs ils ont subsisté bien plus longtemps, puisque la Russie n’a affranchi ses serfs que sous le règne d’Alexandre II, il y a vingt-cinq ans. » M. Letourneau reconnaît que pendant ce long espace de temps, l’éthique n’a pas été toujours et partout uniforme. « Néanmoins avec bien des différences de détail, elle a revêtu, dans l’Europe