Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
ANALYSES.ch. letourneau. L’évolution de la morale.

barbare, une physionomie assez uniforme, sous l’influence combinée de trois grands courants : la tradition légale et morale de l’empire romain, les mœurs et coutumes des Gaulois, Germains, Scandinaves, enfin l’influence grandissante et graduellement envahissante de l’Église chrétienne. »

Enfin la quatrième phase de révolution morale est celle où nous sommes encore, c’est celle de la morale mercantile. « Les sociétés se targuent d’être civilisées. La barbarie de l’âge précédent s’est, en effet, adoucie ; elle est loin cependant d’avoir disparu ; mais elle s’est atténuée et a pris différentes marques. On en rougit plus ou moins, elle existe pourtant encore au fond de la plupart des cœurs. De là des contrastes criants avec la morale réelle, celle qui véritablement régit la conduite de la vie. L’esclavage et le servage ont été abolis ; mais le salariat, servage déguisé, les remplace… En fait, ce qui est surtout respecté, désiré, envié, pourchassé, c’est la propriété, c’est l’argent. »

Ces quatre degrés de l’éthique sont « ascendants et plongent les uns dans les autres. Les races et les groupes ethniques les mieux doués les ont successivement gravis. Les autres se sont arrêtés soit à l’une, soit à l’autre de ses phases, comme l’attestent l’histoire et l’ethnographie que nous avons à interroger à ce sujet. »

M. Letourneau en effet examine en détail ces diverses phases de la morale, après quoi il termine son livre par trois leçons : l’une sur l’influence des religions sur la morale, l’autre sur la morale métaphysique, la dernière sur la morale utilitaire et transformiste. C’est la dernière qu’il préconise, la religion et la métaphysique sont en revanche traitées fort durement. D’abord, c’est très tardivement que les religions élèvent des prétentions morales, et ensuite « partout où la croyance à une existence quelconque après la mort est solidement implantée, elle a pour corollaire des sacrifices sanglants » ; « presque partout cette morale (la morale religieuse) est capricieuse, dépourvue de visées pratiques, nullement utilitaire, souvent elle prescrit des actes nuisibles ; plus fréquemment encore, elle exige et considère comme excessivement importantes des pratiques absurdes, ridicules » ; enfin elle est dangereuse en ce que les prescriptions attribuées à une origine divine sont mises au-dessus de toute discussion. Néanmoins l’auteur attribue une utilité notable au christianisme en ce qui concerne le suicide, l’avortement, l’infanticide, l’esclavage, etc. c Ce sont là, dit-il, de réels services ; mais sans parler même des doctrines anti-humaines et anti-sociales, ils ne sauraient nous faire oublier l’effroyable tyrannie que la religion de Jésus a fait peser sur les esprits et sur les corps. » En somme, sans doute, les religions « ont contribué à dompter, chez l’homme, des penchants nuisibles, en ajoutant au frein des lois celui des cruautés religieuses-, mais leur apport spécial consiste surtout, nous venons de le voir, en une déviation du sens moral. »

La morale métaphysique n’est pas plus favorisée. « Les conceptions métaphysiques sont exsangues ; non seulement on ne peut plus les ai-