Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


NOTES ET DISCUSSIONS

UN PARADOXE PSYGHOSTATIQUE


Monsieur le Directeur,

J’admire tous les jours davantage les échappées inondées de lumière que les nouvelles théories psychologiques nous ouvrent sur l’humanité de l’avenir. Cette humanité sera savante : cela ne peut faire l’objet d’un doute. Elle sera forte : cela est aussi très certain. Elle marchera dans sa toute-puissance et sa toute-science, comme Hercule accompagné de Prométhée qu’il vient de détacher du Caucase. Quant à la question de savoir si elle sera bonne, les uns y répondent par l’affirmative, les autres par la négative. Eh bien ! moi, je suis persuadé qu’elle sera bonne, et d’une bonté extraordinaire, dont l’état actuel des choses ne peut nous faire concevoir la plus légère idée. Et j’ai mes raisons pour penser ainsi. À mon avis, on peut tirer du phénoménisme — puisque c’est comme cela qu’on appelle le credo de la religion à venir — une conséquence très curieuse, qui fait aux fervents de cette religion un devoir logique de devenir altruistes envers tous et contre tout, pertinaciter et mordaciter. L’altruisme ou le spiritualisme : voilà mon dilemme ; et comme le spiritualisme, ainsi que toutes choses, perd de ses charmes en acquérant de l’âge, il faudra bien que la jeune humanité se résigne à la première alternative. Chaque ego devra, pour participer pleinement à la science, devenir aussi altruiste qu’alter lui-même. Ainsi je prétends que le phénoménisme, bien entendu et bien appliqué, conduit à l’extirpation définitive de toutes les racines d’égoïsme qui enfoncent depuis si longtemps leurs sombres ramifications dans le sol de l’humaine nature. Quoique la conséquence semble un peu paradoxale au premier abord, je la tiens pour fort solide, et pour inséparable de son principe. Voudriez-vous me permettre, monsieur le Directeur, de la signaler brièvement aux intéressés par l’organe de votre Revue ?

Nos maîtres et leurs disciples nous ont démontré, avec une façon d’évidence qui eût ravi Descartes lui-même, qu’il n’existe dans l’esprit d’un chacun absolument rien de personnel, aucun centre de nature incon-