justice, va souvent de pair avec lui et augmente encore la confusion des idées. Ce second préjugé appartient également au passé. C’est lui qui, à l’époque même où Comte créait sa philosophie, servit à Cuvier pour combattre Lamarck. Il consiste à tirer des lignes de démarcation tranchées entre des faits naturels qui s’enchaînent d’une façon absolument insensible. La loi des trois états, en effet, ne se contente pas de donner aux conceptions synthétiques du dernier et suprême degré une préséance fictive sur les conceptions analytiques et les généralisations des degrés inférieurs, en laissant presque entendre qu’il y avait une époque où les premières étaient tout, et les secondes n’étaient rien ; elle ne se contente pas non plus de faire procéder celles-ci de celles-là et d’intervertir ainsi, au profit du passé, l’ordre naturel de filiation constamment observé dans le présent ; mais elle nous décrit en outre la théologie et la métaphysique comme deux régimes intellectuels ou deux modes de philosopher essentiellement distincts et qui, s’ils ne sont pas absolument irréductibles l’un à l’autre (puisque Comte admet lui-même que la métaphysique est une modification de la théologie), sont, du moins, nécessairement incompatibles entre eux.
Le lecteur comprend bien que nous ne saurions partager cette vue. L’évolution intellectuelle dont il s’agit ici est une suite de changements lents, de transformations à peine perceptibles. La théologie, nous ne nous lasserons pas de le dire, est une métaphysique primitive, imparfaite, et surtout plus homogène ou moins différenciée ; et la métaphysique est une théologie plus affinée, plus subtile, et surtout plus hétérogène ou plus différenciée. En ce sens, elles sont loin d’être incompatibles ; il y a, entre elles, au contraire, une affinité incontestable. Cela est si vrai, qu’on a toujours vu la métaphysique venir simplement s’ajouter à la théologie ; l’intelligence d’un métaphysicien est plus ouverte, plus hospitalière aux différentes erreurs générales qui peuvent germer dans un cerveau humain, mais elle n’est pas nécessairement fermée pour cela aux erreurs spécifiquement théologiques ; bien au contraire, un métaphysicien est toujours un théologien. Comte en fait incidemment lui-même la judicieuse remarque à propos des métaphysiciens athées rendant un culte inconscient à la déesse Nature ; et les agnosticistes modernes sont venus donner à cette thèse une ampleur et un éclat inaccoutumés en invitant solennellement, les hommes à courber le front devant le Deus Ignotus des religions passées, présentes et futures.
Il y a lieu de constater, d’ailleurs, que Comte a fourni lui-même quelques-uns des meilleurs arguments qui servent aujourd’hui à