tions avec la substance, théorie que Reid n’a esquissée nulle part, qu’il a partout sous-entendue. » Si la substance est invisible, c’est qu’elle est cachée par ses qualités. Extérieures et comme superficielles, les qualités peuvent être perçues directement. Que sont maintenant les qualités par rapport à leur substance ? « Elles sont des dépendances, des annexes, des propriétés, et il faut entendre ces mots comme ferait un notaire ou le premier officier ministériel venu. » Les qualités appartiennent à la substance, comme le livre de Pierre appartient à Pierre, à cela près toutefois que Pierre peut perdre son livre, et que la qualité demeure attachée à son propriétaire. Les qualités sont donc des choses en soi, de véritables noumènes, complètement (qualités premières) ou partiellement (qualités secondes) accessibles à la connaissance, « satellites d’un autre noumène totalement inconnaissable ». Ce sont ces qualités qui sont l’objet de la perception immédiate. « Cette réalité extérieure tombe directement dans le champ de la connaissance et elle y tombe au mépris de toute pudeur métaphysique : aucun voile ne la couvre, pas même un voile transparent. » M. Dauriac confirme son interprétation par la théorie singulière de Reid sur la conscience considérée comme une faculté séparée qui regarde les phénomènes internes.
Mais comment, si M. Dauriac, d’accord avec Hamilton, a raison, comment expliquer la théorie de la sensation-signe ? M. Dauriac se tire d’affaire un peu aisément, en déclarant que Reid entend seulement par là que la sensation est l’antécédent de la perception. « La sensation se produit, immédiatement la perception arrive. » Dès lors tout s’explique : pour Reid, les qualités sont des réalités externes qui pénètrent dans l’esprit, où elles sont saisies par une intuition immédiate. La sensation précède la perception ; c’est en ce sens seulement qu’elle en est le signe et qu’on peut dire qu’elle suggère la conception et la croyance.
Que l’interprétation de M. Dauriac soit fort ingénieuse, nul ne le contestera. J’y retrouve sa dialectique élégante. Mais Reid, je le crains, n’a pas pensé à tant de choses à la fois. Pourquoi tenir tant à ce qu’un philosophe ne se contredise pas ? Que de fois ce sont ses contradictions qui distinguent sa pensée, la font individuelle et vivante ! Ce que je reproche à cette explication, c’est de tout expliquer. Elle néglige un élément, dont il faut toujours tenir compte dans les doctrines écossaises, qu’il s’agisse de David Hume ou de Thomas Reid, la nature. Ce mot de nature revient sans cesse : il exprime précisément ce qui semble à Reid irréductible à l’analyse, ce qui explique l’inexplicable. Toute interprétation qui peut se passer « de cette espèce de magie naturelle », supprime de la théorie de Reid, j’en ai peur, ce qu’elle a de proprement écossais, de plus original dans sa naïveté.