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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/629

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p. regnaud. — des fonctions casuelles

en voie de l’être. En un mot, la construction dite analytique des langues romanes se substitua petit à petit à la construction dite synthétique commune à toutes les langues indo-européennes de première formation, y compris le latin.

Mais ces termes sont-ils exacts, et — je reviens par là à la question que j’indiquais en commençant — faut-il voir une analyse réelle dans le remplacement d’une expression latine comme regis filius par l’expression française correspondante « le fils du roi » ? Une chose sûre, c’est que s’il y a apparence d’analyse dans la tournure française, en ce sens qu’en la considérant comme répondant à l’état primitif des catégories du discours, elle contient un élément, la préposition, que le latin aurait supprimée pour la remplacer par la désinence du génitif (ce qui du reste est contraire à toutes les données historiques), l’analyse ainsi comprise ne serait que de pure forme et ne porte nullement sur l’idée : au point de vue purement logique, il est tout aussi analytique de dire regis filius que « fils du roi ».

Le passage de la synthèse à l’analyse réelle remonte beaucoup plus haut que le français et que le latin lui-même ; cette transition a eu lieu quand la déclinaison est née, et qu’on a substitué l’emploi des cas régimes à celui de l’adjectif à forme unique qui en tenait lieu précédemment. La création des cas a eu en effet pour résultat de permettre de remplacer un adjectif ayant, par exemple, le sens de céleste dans les phrases :

un conducteur céleste,
un ordre céleste,
un sacrifice céleste (ou divin),
un message céleste,
le maître céleste,
un habitant céleste,

par les cas, analogues aux prépositions accompagnées de leur complément, dans les phrases correspondantes qui suivent :

celui qui conduit au ciel (accusatif),
un ordre donné par le ciel (instrumental),
un sacrifice au ciel (ou aux dieux) (datif),
un message venant du ciel (ablatif),
le maître du ciel (génitif),
celui qui habite au ciel (locatif).

Ce qui revient à diviser (ou analyser) l’idée complexe (ou synthétique) contenue dans l’adjectif céleste et à substituer à cette forme unique de langage autant d’équivalents distincts qu’il y a de rap-