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l’était pas, le moment où elle pourrait être réalisable serait trop éloigné, « nous devrions aujourd’hui la regarder comme chimérique et satisfaire autrement notre besoin d’unité ». On serait porté peut-être à croire que Comte lui-même n’a pas fait autre chose par sa hiérarchie des sciences que chercher une coordination objective du monde. M. Laffitte, sans s’expliquer peut-être suffisamment sur ce point et sans analyser assez profondément ce cas particulier, répond que : « Certes, le spectacle des sciences ainsi rangées suivant leur degré de généralité objective décroissante, correspondant au degré de généralité subjective croissante, présente à l’esprit une incomparable idée d’ordre, et est à lui seul un enseignement salutaire. Mais cela n’aurait point suffi pour donner à l’œuvre l’unité puissante qui en fait une véritable philosophie. »

C’est dans l’homme, par conséquent, non dans le monde objectif que doit être cherché le principe d’unification, a La seule coordination possible est celle qui prend pour point de départ l’homme, et pour mieux dire l’Humanité ; qui fait converger autour de cette connaissance fondamentale toutes les autres connaissances, considérées comme accessoires et n’ayant d’utilité que celle que l’Humanité en tire ; qui, par conséquent, ne les honore et ne les encourage qu’autant que l’exige la bonne organisation de la société. Cette systématisation-Là est subjective parce qu’elle dépend non d’un phénomène nécessairement désigné par le monde extérieur, mais d’un phénomène choisi par nous-mêmes, dans notre liberté, pour notre service. »

Les mots objectif et subjectif n’ont pas dans la terminologie positiviste le même sens que dans la terminologie kantienne. Il ne s’agit pas ici de vérifier la nature de nos connaissances ou de scruter la valeur de notre intelligence et la réalité, pour ainsi dire réelle de ses produits. On peut dire à un certain point de vue que tout est objectif pour le positiviste, il ne s’inquiète pas de savoir si par exemple nos sens nous montrent des objets réels, les mots relativité de la connaissance et méthode subjective ont pour lui un sens particulier, comme ils en ont un dans d’autres théories, chaque théorie interprétant les mots et même posant les problèmes à sa façon. Bornons-nous sans insister sur ces points, qui prêteraient cependant au développement, à constater que le sens des mots dans la doctrine positiviste est très suffisamment clair et précis.

La méthode subjective étant comprise comme l’indique M. Laffitte, on peut faire valoir plusieurs arguments en sa faveur. Je crains même qu’en la réfutant, on ne l’entende dans un sens un peu étroit ou peut-être qu’on ne la sépare pas de certaines conséquences que Comte en a tirées, mais qui, en tant qu’elles seraient inacceptables, n’en sont peut-être pas une conséquence rigoureuse. Examinons-la en elle-même et sous sa forme abstraite : elle consiste à peu près à dire que le savoir est acquis pour l’action et qu’il faut s’attacher à posséder les connaissances dont nous pourrons un jour tirer parti, qu’il faut