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ANALYSES.p. laffitte. Cours de philosophie.

organiser, systématiser ces connaissances de manière à en pouvoir tirer le meilleur parti possible. Au point de vue individuel, la théorie passerait généralement pour bonne. Il est peu de parents qui voulant faire de leur lils un cordonnier ou un maçon s’aviseraient de lui faire étudier le sanscrit ou les mathématiques. Si l’on donne aux enfants des connaissances qui ne leur seront pas plus tard d’une utilité immédiate, c’est que l’on pense ainsi leur ouvrir l’esprit pour développer en eux certains sentiments et les rendre plus capables d’exercer leur devoir de citoyen ou d’homme du monde ; c’est peut être un peu pour leur permettre d’occuper plus tard leurs loisirs d’une manière agréable, c’est surtout en bien des cas pour leur permettre de répondre à l’examen du baccalauréat. Une acquisition intellectuelle qui n’aurair, aucune conséquence serait une sorte de gourmandise et l’usage pourrait, dans une société idéale, en être tenu pour réellement blâmable. Mais quel inconvénient y aurait-il à appliquer à la société ce qui vient d’être dit de l’individu ? Ne peut-on pas admettre que les connaissances acquises par les membres de la société doivent tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, maison, outils, invention quelconque, chefd’œuvre littéraire, théorie scientifique, discours éloquent, jouer un rôle dans la vie sociale, et les connaissances ne devront-elles pas être d’autant plus’recherchées que ce rôle sera plus important et plus favorable au développement de l’humanité ? Il semble en vérité que cette théorie qui n’exclut aucun des emplois élevés de l’esprit ne soit pas susceptible d’être sérieusement attaquée par quiconque pense que la vie sociale est une bonne chose, et que d’ailleurs l’homme ne peut exister sans la société. Il est bien entendu que pour un pessimiste absolu la morale serait pour ainsi dire renversée.

Et d’ailleurs la loi morale ferait-elle ici autre chose que ce qu’elle fait toujours : énoncer une loi naturelle encore imparfaite. En fait, la société acquiert les connaissances dont elle a besoin et les classe, les interprète, selon ses besoins ; il s’agirait simplement de régulariser un travail spontané, de préparer avec soin les deux premières phases de l’action réflexe sociale pour mieux assurer la perfection de la troisième. M. Laffitte l’a bien vu. « Chaque époque, on peut le dire, fit réellement ce qu’elle avait à faire… L’esprit humain n’a donc jamais travaillé au hasard, il a suivi la marche régulière de toute étude qui veut qu’on s’attache d’abord aux choses les plus simples avant d’aborder les plus composées ; il a obéi à la loi naturelle qui guide encore notre hiérarchie scientifique et qui n’a cessé de présider à l’enseignement. »

Mais, d’après M. Laffitte, il est temps de régler l’activité humaine, que sa spontanéité ne peut plus suffire à conduire. « La somme des matières sur lesquelles peut porter notre investigation est épuisée. Si les recherches sont encore loin d’être closes dans quelques-unes, toutes, du moins, sont abordées, toutes sont explorées et l’homme n’est plus attiré comme autrefois, vers l’étude utile, nécessaire, par l’appât de l’inconnu. »