Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
420
revue philosophique

« …On ne fait pas assez attention que la richesse intellectuelle est la première de toutes, et que s’il y a dans l’évolution sociale une tendance mnnifestcnient croissante à régler la production et la répartition de nos capitaux, il n’y a aucune raison pour que le travail intellectuel échappe seul à la règle générale. Nous aménageons nos terres, nos forets, nos rivières, nos fleuves ; il serait curieux vraiment que notre bien le plus précieux, celui d’où dépend la création et l’accroissement de tous les autres, fût le seul qui demeurât sans direction. »

Ici nous abordons l’application de la loi, et la tâche devient plus difficile — c’est que nous connaissons encore mal l’humanité, sa nature, son origine et sa fin. S’il est relativement facile de déterminer la direction que doit prendre l’éducation d’un individu déterminé, lorsque ses aptitudes, ses goûts ont pu être déterminés, lorsqu’on connaît l’état actuel de la société dont il fait partie et le milieu immédiat qui l’entoure, il esta peu près impossible de dire quelles connaissances seront ou ne seront pas utiles à l’humanité, et l’on n’est peut-être pas bien sûr qu’une direction intelligente ou prétendue telle soit préférable pour le moment à l’activité spontanée.

Les positivistes ne l’entendent pas ainsi ; ils voient bien les objections qu’on peut leur faire, ils n’en sont pas ébranlés. « Mais ne craignez-vous pas que votre gouvernement intellectuel n’abuse ? objectait Dunoyer à Auguste Comte. — J’espère bien qu’il abusera, répliquait celui-ci, sans quoi ce ne serait pas un gouvernement. Il y a des abus partout et principalement dans l’ordre vital. Vouloir que nous n’abusions pas, c’est vouloir que nous ne soyons pas… Le pouvoir que nous créons n’est pas un pouvoir parfait, incapable de se tromper ou d’abuser ; le tout est de savoir si ces inconvénients ne seront pas, et au delà, compensés par les avantages qu’il procurera à l’Humanité. » Ajoutons cependant que la contrainte exercée par le pouvoir spirituel sera purement morale ; ajoutons aussi que le programme des recherches futures, bien que trop rigoureusement limité peut-être, ne l’est pourtant pas autant qu’on pourrait le craindre.

Au fond, l’on pourrait admettre le principe positiviste, sans admettre les conséquences que les positivistes en tirent. Il est possible que, même au point de vue de la synthèse subjective, l’étude objective complète s’impose ; ce qu’il y aurait de meilleur pour l’humanité serait peut-être d’avoir une synthèse du monde aussi objective que nos moyens nous le permettent. Nous ne connaissons pas les limites de l’adaptation de l’homme au monde, et à supposer que ces limites puissent être déterminées, elles ne peuvent l’être, semble-t-il, que par la connaissance objective du monde. Avant de déclarer qu’une connaissance nous est inutile, il faudrait commencer par avoir cette connaissance à un degré plus élevé que celui que beaucoup ont atteint. D’un côté comme de l’autre, une philosophie objective s’impose, mais il est bien évident que la science objective devra être ensuite arrangée, systématisée en vue des diverses fonctions sociales. Une science variera par la forme,