Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
422
revue philosophique

peut-être l’idée la plus extravagante d’Auguste Comte, la fétichisation de la terre, sous le nom de Grand Fétiche, de l’espace sous le nom de Grand Milieu, nous y trouvons une certaine raison d’être, et même à certains égards une conception générale beaucoup plus juste que celle qui passe généralement pour scientifique. À propos de la question du pessimisme, on a dit et répété que pour la science il n’y avait ni optimisme ni pessimisme, que la nature n’était ni bonne ni mauvaise, mais indifférente, inconsciente et aveugle, et sous une vérité incontestable il y avait là une confusion grave : il ne s’agit pas dans la question de la valeur du monde pour nous, de savoir si les choses ont été arrangées par un être qui a voulu préméditer notre bonheur ou notre malheur ou si la nature nous entend et se plaît à nous contrarier ou à nous favoriser, mais bien de savoir si nos conditions générales d’existence telles qu’elles sont, sont telles qu’elles permettent le libre développement de notre activité, le libre jeu de nos tendances, ou s’il n’en est pas ainsi. Selon la solution que l’on donnera à la question, on sera optimiste ou pessimiste à des degrés divers, à moins qu’on ne tienne pour l’équilibre absolu. Le positiviste penche pour l’optimisme ; il considère que la société, la terre et en général toutes les choses qui nous entourent sont des conditions de notre existence et jouent dans notre vie un rôle utile plus ou moins important, et que nous tirons un bon parti de notre milieu d’une manière ou d’une autre. Il y a, ceci n’est pas douteux. un certain ensemble de conditions, de lois naturelles qui nous permettent de vivre et de nous développer jusqu’à un certain point. Que pour nous le fait ait quelque importance, il est difficile de le niei. Mais le positivisme ne se borne pas à constater le fait, il en fait le point de départ d’une sorte de religion, il a voulu incorporer le Fétichisme au Positivisme ; l’Humanité, le Grand Être, devient l’objet de notre culte ; la Terre, le Grand Fétiche, et l’Espace, le Grand Milieu, sont associés à elle. Mais il faut bien comprendre que le positiviste ne dépasse pas autant qu’on pourrait le croire le point de vue auquel nous nous placions tout à l’heure, il ne substitue pas des volontés capricieuses à des lois immuables ; les volontés qu’il introduit dans le monde, il ne les admet que comme une manière commode, utile pour satisfaire l’imagination et le sentiment de se représenter les choses ; les volontés dont il s’agit sont toujours conformes aux lois naturelles, elles sont toujours aveugles. Le philosophe agit ici en poète qui n’est pas dupe de sa poésie. « Auguste Comte n’a fait autre chose que de proposer l’alliance de la philosophie et de la poésie, celle-ci soutenant celle-là, et au besoin occupant la place dans tous les cas où la philosophie fait défaut… Si Auguste Comte n’avait voulu que donner satisfaction à l’esprit, il s’en fût sans doute tenu à l’élaboration philosophique de l’ordre abstrait, mais instituant une religion, et cherchant à diriger la vie, il a dû répondre aux différentes aspirations de la nature humaine et donner à l’activité et au sentiment une part égale, sinon supérieure à celle de l’esprit. Et pour cela il s’est servi des seuls moyens que